Le Devoir

Une grande dame qui éclipse les autres

Marie-Nicole Lemieux a brillé dans un Requiem de Verdi qui a fait salle comble

- CHRISTOPHE HUSS

KENT NAGANO DIRIGE LE REQUIEM DE VERDI Patrizia Ciofi (soprano), Marie-Nicole Lemieux (mezzo), Ovidiu Purcel (ténor), Nicholas Brownlee (basse), Choeur et Orchestre symphoniqu­e de Montréal, Kent Nagano. Maison symphoniqu­e de Montréal, mercredi 21 mars. Reprises samedi et dimanche.

Kent Nagano revenait au Requiem de Verdi neuf ans après une décevante présentati­on au Festival de Lanaudière 2008. Les choses avaient heureuseme­nt changé mercredi lors d’un concert dédié à la mémoire de Jacqueline Desmarais.

À ce titre, en prélude au concert, un petit film sur l’orgue Pierre-Béique, don de Mme Desmarais, a été projeté entre des discours de Madeleine Careau, chef de la direction, et Lucien Bouchard, président du conseil d’administra­tion de l’OSM. Présentant le Pie Jesu du Requiem de Duruflé qu’allait chanter Marie-Nicole Lemieux en l’honneur de la mécène, M. Bouchard a rappelé que cette dernière avait récemment «accompagné l’Orchestre Métropolit­ain dans sa remarquabl­e tournée en Europe ».

La soirée a donc commencé avec Marie-Nicole Lemieux se sortant les tripes dans le Requiem de Duruflé pour rendre hommage à Jacqueline Desmarais, qui a promu beaucoup d’autres chanteuses et chanteurs… Audelà du profession­nalisme, on appellera cela de la noblesse et de la grandeur d’âme.

Cette situation inattendue n’était qu’une bouchée apéritive par rapport à la suite. Car Marie-Nicole Lemieux a géré en «gentlewoma­n» sa présence dans un quatuor qu’elle dominait nettement. Patrizia Ciofi, une Gilda, une Violetta chez Verdi, à peine une Mimi de La Bohème de Puccini, distribuée dans le Requiem de Verdi? C’était à peine concevable sur papier. En réalité, ce fut pire.

Ciofi chante intrinsèqu­ement bien, avec des aigus fins, mais n’a en rien le volume et la voix requis, notamment en raison d’une absence de bas médiums et de graves. Marie-Nicole Lemieux, elle, a la voix parfaite: celle d’Azucena du Trouvère. Il faut donc à ses côtés une Leonora du même Trouvère. Or voici ce que Ciofi disait elle-même en entrevue à Forum Opera en avril 2017: «J’aimerais rentrer davantage dans du Verdi, dans du Puccini plus costaud, mais je n’ai pas la puissance vocale pour surmonter leurs orchestres. Il faut aussi avoir la griffe vocale — la couleur — qui colle au rôle: je pourrais chanter par exemple Leonora dans Il trovatore, mais je n’ai pas le timbre du rôle.» Si c’est elle qui l’affirme… Ce que je peux vous dire, c’est que ça s’entend!

Eh bien, Marie-Nicole Lemieux, qui a déployé, en solo, dans le Liber scriptus ses énormes ressources (et montré ce qu’est un soliste de Requiem de Verdi), a pondéré sa voix dans tous les duos et ensembles pour protéger sa collègue. Quelle noblesse, encore. Quelle soirée de la part de cette grande dame !

Pour les deux jeunes solistes masculins, le ténor (un superbe Nemorino de L’élixir d’amour) n’a pris aucun risque et ne s’est pas engagé expressive­ment, mais a chanté avec solidité. Quant à Nicholas Brownlee, c’est un chanteur assez énigmatiqu­e et très inégal. Le timbre est beau, mais l’articulati­on parfois floue et Mors stupebit fut faux au début, à la fin, et entaché d’erreurs de paroles au milieu. Le choeur, lui, s’en est bien mieux tiré en faisant preuve de nettement plus de précision et d’une grande solidité du point de vue de l’intonation.

Quant à Kent Nagano, il a égalisé le mouvement (il y avait jadis beaucoup d’à-coups) et concentré son propos par rapport à 2008. Son Requiem de Verdi ne déborde pas de couleurs italiennes (le chant italien est davantage couvert qu’ouvert dans les voyelles), mais il est intègre et logique par rapport à la partition.

Il n’en reste pas moins que l’impression dominante est celle d’un malaise devant cette soprano dont on se demande ce qu’elle fait là, qui peut bien avoir eu l’idée de la voir dans cet emploi et pourquoi ellemême a accepté. De Lyne Fortin à Marianne Fiset, nous avions au Québec plusieurs chanteuses capables d’assumer autrement mieux cette mission.

Marie-Nicole Lemieux a géré en « gentlewoma­n » sa présence dans un quatuor qu’elle dominait nettement

Newspapers in French

Newspapers from Canada