Le Devoir

La révolte de coton

Des étudiants du secondaire contestent le code vestimenta­ire que leur impose l’école

- ISABELLE PORTER à Québec RÉVOLTE

Inspirées par l’expérience des carrés rouges, des adolescent­es de Québec ont lancé une campagne pour dénoncer les codes vestimenta­ires des écoles secondaire­s publiques parce qu’ils contribuen­t, selon elles, au sexisme.

«Nous, on se bat contre l’hypersexua­lisation de la femme, pour l’égalité de traitement et pour la liberté d’expression», explique Gaëlle Grimard, l’une des instigatri­ces du mouvement. Âgée de 14 ans, la jeune fille est en 2e secondaire à Joseph-François-Perrault, une école secondaire publique de 600 élèves.

« Le code vestimenta­ire est trop restrictif», ajoute Célestine Uhde, la présidente du conseil étudiant de l’école, actuelleme­nt en 4e secondaire. «On nous empêche de dévoiler nos épaules parce que ça excite les garçons et ça les déconcentr­e. Donc en gros, on ne peut pas s’habiller comme on veut à cause des garçons. »

La plupart des écoles secondaire­s interdisen­t les camisoles avec des bretelles «spaghettis», les épaules dénudées, les culottes courtes et demandent aux élèves de porter des hauts et des bas qui se superposen­t. Ces mesures sont contenues dans ce qu’on appelle des «codes de vie», qui sont approuvés par toutes les instances de l’école.

Les adolescent­es déplorent aussi qu’on les oblige à porter un haut long lorsqu’elles mettent des leggings et s’opposent à ce qu’on les force à porter des soutiens-gorge, obligation qui n’est toutefois pas précisée dans le code.

Ces règlements mettent surtout la pression sur les filles et pas sur les garçons, déplorent-elles. Elles croient que cela contribue à l’hypersexua­lisation et à « la culture du viol ».

Mais puisque les codes moins restrictif­s permettent à des jeunes filles de s’habiller de façon plus sexy, ne seraitce pas plutôt le contraire? Les règles

«On nous empêche de dévoiler nos épaules parce que ça excite les garçons»

Céline Uhde

n’empêchent-elles pas justement l’hypersexua­lisation? «Notre but à long terme, c’est que le corps de la femme ne soit pas plus sexualisé que celui d’un gars, répond Célestine Uhde. On veut que les gens cessent de croire que le corps de la femme est plus sexuel que celui d’un homme. Moins on donne de l’importance au ventre et aux jambes des filles, moins on les cache, moins ça les sexualise. »

Leur mouvement, disent-elles, a été déclenché par une vidéo de la plateforme YouTube ou une élève de 5e secondaire racontait qu’elle s’est fait sortir de sa classe parce qu’elle ne portait pas de soutien-gorge sous sa chemise. L’adolescent­e encouragea­it les jeunes à protester contre ces règlements le 21 mars.

Un message pris au pied de la lettre par leur groupe (des filles pour la plupart, mais certains garçons ont participé), qui a défié le règlement le jour dit. «On est allés à l’école sans brassières, en camisole ou en gilets bedaine. On voyait une partie du corps qu’on doit normalemen­t cacher», explique Gaëlle Grimard, en ajoutant que «des élèves qui ont refusé de se changer ont été suspendus ».

Les carrés jaunes avaient en outre tapissé l’école d’affiches jaunes pour réclamer des changement­s et lancé une campagne sur les réseaux sociaux. Pourquoi le jaune? Parce que l’une des filles de la bande a trouvé un paquet de tissu jaune dans son sous-sol la semaine dernière. «On veut que ça rayonne comme un soleil dans les autres écoles», ajoute Célestine Uhde.

Une consultati­on d’abord

Lors de leur rencontre avec Le Devoir lundi, les carrés jaunes disaient avoir convaincu la direction de l’école de revoir le code de vie dès l’an prochain. Or jointe au téléphone, la directrice, Marlène Bureau, a dit qu’elle n’en était pas là du tout.

Certes, elle a confirmé avoir rencontré les élèves et accepté de rédiger une propositio­n de changement au code de vie. À cet égard, elle n’a pas voulu nous décrire le contenu de la propositio­n, mais a souligné qu’elle ne faisait pas l’unanimité. « J’ai présenté un sondage à l’équipe enseignant­e. Ils ont travaillé en équipe tout un avant-midi là-dessus », ditelle. Or «c’est très serré.Tout le monde n’a pas la même vision. »

D’emblée, la directrice n’est pas convaincue que le conseil d’établissem­ent va approuver. «Vous savez, ce sont des parents en majorité qui doivent voter sur ça. » La réunion doit avoir lieu le

9 avril. « J’ai hâte de voir ce qu’ils vont dire. Je suis très curieuse. »

Elle-même se questionne :

«Si on dit que [les shorts] doivent couvrir la fesse [par opposition à la majeure partie de la cuisse], l’année prochaine, ça va être quoi ? »

«Actuelleme­nt, la mode est aux gilets bedaine. […] Moi, j’ai vu des filles qui lorsqu’elles lèvent le bras en l’air, on voit leur soutien-gorge. Je ne peux pas accepter ça dans une école. »

«Elles ont raison de dire que ça touche plus les filles, sauf que des gars qui portent le short court, j’en ai pas vu encore.» Elle ajoute qu’elle n’a jamais vu d’élève se faire avertir parce qu’elle n’avait pas de soutien-gorge. Si ça s’est produit, c’est parce que l’adolescent­e avait un haut transparen­t, souligne-t-elle.

Un précédent à Montréal

La directrice plaide que le code de vie assure le vivreensem­ble à l’école

D’emblée, à ses yeux, le code vestimenta­ire n’est pas nécessaire­ment un enjeu lié au sexisme.

«C’est une question de vivre-ensemble», dit la directrice, qui voit aussi dans la révision du code l’occasion de rediscuter de l’interdicti­on de porter un couvre-chef en classe, par exemple. Quant aux propos des filles selon lesquels le code vestimenta­ire «encourage la culture du viol », Mme Bureau n’en revient tout simplement pas. «Je trouve ça gros comme argument. […] J’aurais besoin qu’on me prouve que ça a cet effet-là. […] C’est presque une insulte à mon égard. »

À l’échelle du Québec, ce n’est pas la première fois que les codes vestimenta­ires suscitent la polémique dans une école secondaire. Il y a deux ans, un mouvement du même genre était apparu à l’école Robert-Gravel, à Montréal, après que l’établissem­ent eut tenté d’imposer le port obligatoir­e du soutien-gorge dans son code de vie. Pour protester, des jeunes avaient alors suspendu des soutiens-gorge à leurs casiers

La direction s’était défendue en expliquant que certains enseignant­s étaient placés dans des situations délicates «liées au port ou non de sous-vêtements» notamment lorsque des «tissus transparen­ts» peuvent «révéler certaines choses ».

Finalement, le conseil d’établissem­ent avait adopté un compromis en libellant le règlement ainsi: «les sous-vêtements ou les parties du corps qui se trouvent normalemen­t sous les sous-vêtements ne doivent pas être visibles, et ce, autant chez les filles que chez les garçons ».

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Gaëlle Grimard, Kimy Boivin et Célestine Uhde, trois membres du mouvement des carrés jaunes

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