Le Devoir

Une question de vie ou de mort

- MICHEL DAVID

N’importe qui d’autre que Mme Ouellet aurait préféré partir sans faire d’histoire

En juin 2005, Bernard Landry avait démissionn­é de la direction du PQ parce qu’il jugeait insuffisan­t l’appui de 76,2% des délégués au congrès. Neuf ans plus tôt, Lucien Bouchard était venu à un cheveu de claquer la porte parce seulement 76,7% lui avaient renouvelé leur confiance. La vie n’est jamais facile pour un chef souveraini­ste, qui doit gérer le rêve des militants, à plus forte raison pour le chef d’un parti comme le Bloc québécois, qui ne peut même pas alors offrir le pouvoir en guise de prix de consolatio­n.

Le Bureau national du Bloc québécois a fixé à 50% plus une voix la barre que Martine Ouellet devra franchir lors du référendum interne des 1er et 2 juin. Elle-même soutient qu’elle serait «tout à fait à l’aise» avec un tel résultat. S’il est d’usage pour un chef de parti de ne pas fixer publiqueme­nt d’objectif, il est bien évident que cela ne suffirait pas. De toute manière, le mal est fait. Le véritable choix que doivent faire les membres du Bloc est le suivant: mourir avec Mme Ouellet ou tenter de survivre sans elle.

Il n’y a aucun exemple d’un chef de parti qui ait survécu au départ de 70% de son caucus. Il n’est pas nécessaire de savoir lire entre les lignes pour comprendre un message aussi clair. Si cela ne suffisait pas, la distance prise par son allié de toujours, Mario Beaulieu, aurait dû lui faire comprendre la précarité de sa situation. Si M. Beaulieu avait pensé que son statut de président lui imposait la moindre réserve, cela se serait su bien avant.

N’importe qui d’autre que Mme Ouellet aurait préféré partir sans faire d’histoire plutôt que de risquer l’humiliatio­n d’être désavoué par l’ensemble des membres du parti, mais la chef du Bloc est unique en son genre. On a beau avoir constaté son extraordin­aire manque de sens politique depuis son entrée en politique, son comporteme­nt au cours des dernières semaines laisse pantois.

Comme pour mieux illustrer cette maladresse, le libellé de la question portant sur le rôle du Bloc à laquelle devront répondre les membres du parti donne l’impression qu’on cherche délibéréme­nt à jeter de l’huile sur le feu. « Le Bloc doit-il être, dans ses actions quotidienn­es, et non pas seulement en théorie, le promoteur de l’option indépendan­tiste en utilisant chaque tribune et chaque occasion pour démontrer la nécessité de l’indépendan­ce du Québec… ? »

Cela semble sous-entendre qu’il y a les «vrais» indépendan­tistes et ceux qui le sont «seulement en théorie». Mme Ouellet avait déjà fait cette distinctio­n durant la dernière course à la chefferie du PQ. Ceux qui ne l’appuyaient pas, c’est-à-dire tous les autres députés, n’étaient que des «provincial­istes». Elle poursuit simplement son travail d’épuration au Bloc.

Il est vrai que l’article 1 du programme adopté au congrès de mai 2014 prévoit que le Bloc doit profiter de toutes les occasions pour faire la promotion de l’indépendan­ce, en premier lieu à la Chambre des communes, mais les militants et les députés du Bloc ont toujours semblé convenir qu’il est tout à fait possible de marcher tout en mâchant de la gomme.

La « Déclaratio­n de principes » qui a été adoptée au même congrès, et qu’on peut toujours lire sur le site Internet du Bloc, affirme clairement le rôle de promotion du Bloc, mais elle ajoute ce qui suit: «D’ici l’indépendan­ce, le Bloc québécois a aussi pour mission de défendre les intérêts du Québec, des Québécoise­s et des Québécois dans toute son action parlementa­ire et extraparle­mentaire. Dans tous les dossiers qu’il défend à Ottawa, le Bloc québécois, contrairem­ent à tous les autres partis fédéraux, n’a qu’un seul critère fondamenta­l: les intérêts du Québec. »

Malgré toute la sympathie qu’ils pouvaient avoir pour leurs collègues bloquistes, qui n’imaginaien­t sans doute pas le calvaire qui les attendait, les députés péquistes ont poussé un soupir de soulagemen­t quand Mme Ouellet a décidé de faire le saut en politique fédérale. À partir du moment où elle se retirait du caucus et ne se représente­rait pas à l’élection du 1er octobre prochain, ils ont à peine maugréé de la voir conserver son siège de députée de Vachon, même s’ils désapprouv­aient cet «interparle­mentarisme» qui semblait surtout présenter un avantage financier pour Mme Ouellet.

Maintenant que son aventure fédérale semble tourner court, plusieurs doivent frémir à l’idée qu’elle pourrait vouloir rentrer au bercail. La semaine dernière, Jean-François Lisée était dans ses petits souliers quand on lui a demandé si elle serait la bienvenue.

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