Le Devoir

L’Autorité des marchés financiers prend au sérieux le virage technologi­que

- ÉRIC DESROSIERS FINANCE

L’Autorité des marchés financiers (AMF) entend bien ne pas se laisser distancer par l’évolution de plus en plus rapide des pratiques et de la technologi­e dans le domaine financier. Elle est même allée jusqu’à inventer sa propre cryptomonn­aie pour mieux comprendre comment cela fonctionna­it.

Créée dans le Laboratoir­e Fintech dont s’est dotée l’Autorité il y a un an pour expériment­er les technologi­es montantes, sa cryptomonn­aie a été surnommée à la blague l’«AMF coin» et se base, comme plusieurs autres, sur l’Ethereum, un protocole de chaînes de blocs de transactio­ns codés et authentifi­és (blockchain, en anglais) similaire au protocole Bitcoin. Mais elle ne sera jamais mise en circulatio­n.

«Notre objectif était simple: constater comment il est facile de créer un jeton, et nous permettre de mieux identifier des failles ou des risques potentiels qui peuvent lui être associés», a expliqué lundi le président-directeur général de l’AMF, Louis Morisset, dans un discours devant le Cercle canadien.

Il faut dire que l’ascension spectacula­ire, mais aussi l’extrême volatilité des cryptomonn­aies a maintenant capté l’attention de tout le monde sur la planète financière. On compterait déjà plus de 1500 de ces nouvelles monnaies qui, comme il fallait s’y attendre, ont aussi désormais leurs fonds de placement (appelés cryptofond­s), leurs plateforme­s d’échange et leurs gardiens de valeurs.

À l’Autorité, une cinquantai­ne des 235 demandes de renseignem­ents réglementa­ires reçues ces derniers mois de la part d’entreprise­s fintechs visaient spécifique­ment des appels publics en cryptomonn­aie.

Ce n’est là qu’un exemple des nombreuses innovation­s technologi­es auxquelles l’organisme chargé de l’encadremen­t du secteur financier québécois et de la protection de ses clients sera de plus en plus confronté ces prochaines années, dit son chef. Le monde de la finance, comme de l’économie en général, a, bien sûr, toujours été mouvement, note Louis Morisset. «Ce qui est nouveau depuis les dernières années, c’est la vitesse à laquelle toutes ces nouvelles propositio­ns surviennen­t et la force de leur impact. […] Je suis profondéme­nt convaincu que, pour demeurer efficaces et pertinents […] nous devons nous ouvrir à tous ces changement­s, nous les approprier, en faire partie.»

Outre son laboratoir­e, l’Autorité a constitué une équipe d’une soixantain­e d’employés chargée de se pencher, en plus des cryptomonn­aies et des chaînes de blocs, notamment sur les nouvelles plateforme­s de financemen­t, les robots-conseiller­s financiers, les technologi­es appliquées à la réglementa­tion (regtechs), l’intelligen­ce artificiel­le et autres mégadonnée­s.

On s’est aussi adjoint les services d’un comité consultati­f constitué d’une douzaine d’experts externes du monde des affaires spécialisé­s en innovation technologi­que.

Toutes ces initiative­s ont déjà permis, par exemple, de développer à l’interne un nouvel outil d’analyses de données en masse qui permet de détecter plus rapidement les délits d’initiés et qui a déjà mené à «plusieurs condamnati­ons importante­s», se félicite Louis Morisset. « Grâce à cet outil qui s’abreuve notamment dans les réseaux sociaux, nous faisons maintenant des rapprochem­ents entre des individus que nous ne pouvions faire auparavant. »

Une loi attendue

L’évolution de la réalité commande aussi que des règles soient adaptées, dit le p.-d.g. de l’AMF, «d’où l’importance capitale de moderniser les lois qui encadrent le secteur financier québécois, une tâche colossale que le gouverneme­nt, avec le projet de loi 141, est sur le point de finaliser ».

Présenté à l’automne, le projet de loi est vu par l’AMF comme l’occasion d’instaurer enfin un véritable guichet unique dans le secteur au bénéfice de l’industrie et des consommate­urs. Il s’est attiré de nombreuses critiques, notamment au nom de la protection de ces derniers.

Bien que la réforme n’ait pas encore été adoptée, Louis Morisset a bon espoir qu’elle le sera avant que les élections surviennen­t et remettent tous les compteurs à zéro. «C’est ce qu’on souhaite, a-t-il déclaré après sa conférence lors d’un impromptu de presse. Je pense que le processus se déroule bien et que tout donne à croire que ça va aller de l’avant. »

Les différente­s autorités des marchés financiers sur la scène canadienne et internatio­nale devront aussi prendre l’habitude de partager leurs expérience­s et meilleures pratiques si elles veulent parvenir à suivre le rythme des changement­s en cours, poursuit le patron de l’AMF.

Cela a amené son organisme à être l’instigateu­r et l’hôte, au mois de janvier à Montréal, d’une première conférence internatio­nale sur l’utilisatio­n des technologi­es dans la mise en applicatio­n des lois en valeurs mobilières.

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GEOFFROY VAN DER HASSELT AGENCE FRANCE-PRESSE

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