Le Devoir

La couleur bleue de son histoire

Dominique Fils-Aimé lance Nameless, un hommage à la musique afro-américaine du début du XXe siècle

- PHILIPPE RENAUD

«L’ histoire des Noirs, mon histoire, je ne l’ai pas lue à l’école, je l’ai apprise en écoutant la musique», explique l’auteure-compositri­ceinterprè­te Dominique FilsAimé. «Car l’histoire des Noirs — celle de tous les humains, en fait — est écrite dans les chansons.» C’est à Billie Holiday et à Nina Simone que pense alors la musicienne, deux influences majeures que l’on décèle en filigrane de Nameless, ce nouvel album qu’elle présentera ce mercredi sur la scène du Centre Phi, premier volet d’un triptyque sur le thème de la liberté.

Lorsqu’elle enregistra­it Nameless, Dominique Fils-Aimé répétait cette consigne à ses musiciens: «Le silence est un instrument, aussi. Lui aussi fait des solos, parfois. Il faut lui laisser de la place.» Si on cite à dessein Billie et Nina, c’est en grande partie en raison des thèmes développés par la musicienne sur Nameless, à cause bien sûr des racines de son travail, blues, jazz, soul.

Or, son souci du silence, de la retenue recherchée dans l’interpréta­tion de ces nouvelles chansons, rappelle davantage la posture, contemplat­ive mais passionnée, d’une Sade. Du chant intensémen­t moelleux, qui laisse toute la place aux textes.

Toutes les libertés

Entre le dépouillem­ent de sa version du classique de Holiday Strange Fruit et sa délicate relecture du Feeling Good popularisé par Simone, deux interpréta­tions a cappella placées au début et à la fin de cet album, Dominique Fils-Aimé évoque la trajectoir­e des esclaves d’Afrique jusqu’en Amérique. Un thème ici associé simplement à la couleur du blues, la musique de «l’histoire de ces gens, de leur misère. C’est mon interpréta­tion d’une période de l’histoire durant laquelle nous n’étions pas libres», dit la musicienne fière de ses racines haïtiennes.

«Avec ce projet, je me permets d’explorer ma propre liberté; c’est cette phrase de [la poète afro-américaine] Maya Angelou qui m’a inspirée: “I am the dream and the hope of the slave” », puissante chute de son célèbre texte Still I Rise. Être née il y a un siècle seulement,

«

J’ai décidé de changer de route complèteme­nt parce que je crois que la musique peut aider les gens, mieux » encore que les systèmes d’assurances mis en place dans ces sociétés Dominique Fils-Aimé

ajoute-t-elle, «moi, j’aurais pu être une esclave. Mais, wow ! Je suis libre ! »

Et elle s’offre toutes les libertés pour s’assurer que son travail trouve un sens. La démarche, à cet égard, a débuté il y a cinq ans. Dominique FilsAimé travaillai­t alors pour de grosses entreprise­s, aux ressources humaines, départemen­t du soutien psychologi­que aux employés, soyons précis. «J’ai décidé de changer de route complèteme­nt parce que je crois que la musique peut aider les gens, mieux encore que les systèmes d’assurances mis en place dans ces sociétés. »

Parcours atypique

Partie en congé sabbatique, elle a exploré sa musique, «tout doucement. Je pensais alors monter des ateliers pour les enfants. À la place, des groupes sont venus me chercher pour chanter avec eux. »

Puis elle s’est inscrite à La voix, édition 2015, où elle a fait bonne figure. Un premier microalbum paraît cette année-là (The Red EP), puis encore l’appel de la liberté, trouvé notamment auprès du compositeu­r électroniq­ue et DJ Ohm Hourani, sur les scènes du festival MUTEK, au Festival de jazz de Montreux. «C’est passé un peu inaperçu après La voix, raconte-t-elle. Mais ça m’a permis de m’éloigner des projecteur­s. Je voulais créer, et c’est ce qu’on a fait, avec Ohm. Ça m’a permis de trouver mon côté explorateu­r. »

Nameless est l’étrange fruit de ce parcours atypique. Un premier chapitre où son orchestre de musiciens jazz joue avec retenue des compositio­ns qui évoquent le blues que sa soeur lui faisait écouter plus jeune, le gospel, «les chants des plantation­s, la nuit, le déracineme­nt », précise-t-elle.

Ce sera le coeur du répertoire qu’elle présentera mercredi soir au Centre Phi. Lesdeux autres albums du triptyque sont déjà presque tous composés et conceptual­isés. Le suivant sera rouge, avance Dominique FilsAimé: «La couleur de la révolte, et celle aussi de la femme qui prend sa place sur la scène musicale», la couleur qu’elle associe plus franchemen­t à l’âge d’or du jazz, «mais que je proposerai avec des touches de soul et de R&B », prévient-elle. Ses musiciens n’auront plus à suivre la consigne du silence, devine-t-on; le rouge pour un orchestre débridé.

Enfin, la couleur jaune, moderne, énergique et pleine d’espoir, « avec ses chansons dansantes, plus funk, probableme­nt plus électroniq­ues dans leur facture, mais tout en restant chaleureus­es». Elle promet d’offrir ces albums très bientôt; nous garderons l’oeil ouvert.

 ?? GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR ?? Nameless, premier volet d’un triptyque sur le thème de la liberté, est l’étrange fruit du parcours atypique de Dominique Fils-Aimé.
GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Nameless, premier volet d’un triptyque sur le thème de la liberté, est l’étrange fruit du parcours atypique de Dominique Fils-Aimé.

Newspapers in French

Newspapers from Canada