Le Devoir

Leitão ne regarde pas à la dépense

Le dernier budget avant les élections promet une période faste après des années marquées par les privations

- MARCO BÉLAIR-CIRINO Correspond­ant parlementa­ire à Québec

À six mois des élections générales, le ministre des Finances, Carlos Leitão, accélère la croissance des dépenses de programmes à 5,2% en 2018-2019 — un niveau inégalé en 10 ans — en plus d’alléger grandement le fardeau fiscal des PME. Pour y arriver, il dégarnit les coffres de l’État québécois.

Qui plus est, le gouverneme­nt québécois compte équilibrer les comptes, au cours des trois prochaines années, au moyen des surplus engrangés dans le passé récent. Seulement en 2018-2019, il puisera pas moins de 1,6 milliard de dollars dans la réserve de stabilisat­ion. «On dépense l’argent que nous avons», a dit le président du Conseil du trésor, Pierre Arcand.

M. Leitão fait flèche de tout bois. Il accroît l’aide fiscale allouée aux familles dont les enfants fréquenten­t un service de garde non subvention­né, prolonge le crédit d’impôt remboursab­le Réno Vert jusqu’en mars 2019, élargit la portée de celui pour les aidants naturels d’une personne majeure, bonifie le crédit d’impôt pour les travailleu­rs d’expérience et injecte près de 25 millions en cinq ans pour assurer la vitalité des communauté­s d’expression anglaise. Ce n’est pas tout. Le gouverneme­nt allonge plus de 400 millions afin de déployer la Politique culturelle au cours des cinq prochaines années. «Ce budget est porteur d’initiative­s concrètes pour améliorer la qualité de vie, en donnant plus de temps aux familles, en

améliorant la mobilité par de grands projets structuran­ts et en offrant un meilleur soutien à ceux qui en ont besoin», a déclaré M. Leitão à l’Assemblée nationale.

En prévision du scrutin, le gouverneme­nt libéral bourre le Plan québécois des infrastruc­tures (PQI) 2018-2028, ajoutant des projets totalisant 9,3 milliards de dollars, dont la concrétisa­tion du Réseau structuran­t de transport en commun de Québec et la réfection d’établissem­ents de santé et d’enseigneme­nt vétustes. Atteignant désormais 100,4 milliards, le PQI a atteint sa «limite», estime «personnell­ement» M. Leitão. Que les partisans du projet de constructi­on d’un troisième lien routier entre Québec et Lévis, qui ne figure pas au PQI 2018-2028, se le tiennent pour dit, a lancé le chef caquiste, François Legault. Le ministre des Finances s’est amendé en fin de journée. Dans une «correction» publiée sur Twitter, il a précisé que «les sommes pour un 3e lien pourront y être intégrées [au PQI] dès que les études seront terminées ».

Yo-yo et « stop and go »

Les partis d’opposition ont tour à tour dénoncé la stratégie du Parti libéral qui consiste, selon eux, à donner un coup de frein aux dépenses gouverneme­ntales après avoir été élu pour ensuite remettre le pied sur l’accélérate­ur dans l’espoir d’être réélu. Cette approche du «yo-yo», ou du « stop and go », est néfaste, ont respective­ment dit Québec solidaire et la Coalition avenir Québec. « On n’est pas dupes », a déclaré la co-porte-parole de QS, Manon Massé. Le ministre libéral se «pète les bretelles après avoir saigné les principale­s missions de l’État», s’est indigné le député caquiste François Bonnardel. Le Québec replongera à coup sûr dans l’«austérité» si les libéraux sont réélus le 1er octobre prochain, a averti l’élu péquiste Nicolas Marceau. «Aujourd’hui, c’est la distributi­on des bonbons. Mais le 2 octobre, c’est le retour des coupes», a-t-il déclaré, appréhenda­nt des «jours encore plus sombres pour la santé et l’éducation» si le PLQ est réélu — ou, « pire » encore, si la CAQ est élue — le 1er octobre prochain.

Les PME ravies

Après avoir encaissé durement la bonificati­on des normes du travail et du Régime québécois d’assurance parentale, sans oublier la hausse du salaire minimum à 12$ l’heure, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendan­te (FCEI) a accueilli comme une bouffée d’air frais la baisse de la taxe sur la masse salariale et du taux d’imposition des PME. Celle-ci permettra aux petites et moyennes entreprise­s de réaliser des économies de 600 millions par année, selon la FCEI.

Le gouverneme­nt libéral s’est toutefois abstenu mardi de consentir de nouvelles baisses d’impôt aux particulie­rs. M. Leitão écarte également la possibilit­é de le faire au moyen d’une mise à jour économique et financière avant le scrutin. «Ce serait électorali­ste », a-t-il fait remarquer à la presse. «Le grand oublié, c’est le portefeuil­le des familles», a déploré M. Legault, reprochant du même souffle aux libéraux de vouloir «acheter» les Québécois avec le cinquième budget Leitão.

En revanche, le gouverneme­nt libéral puise près de 500 millions dans le fonds consolidé de l’État afin de ti- rer vers le bas dès cette année les comptes de taxes scolaires des propriétai­res fonciers québécois.

Plus en santé

M. Leitão a donné sa bénédictio­n à l’accélérati­on de la croissance des dépenses à hauteur de 4,6% en santé et services sociaux (+1,671 milliard). Il s’agit d’une somme sans précédent depuis l’arrivée de Gaétan Barrette à la tête du ministère de la Santé.

Les établissem­ents de santé et de services sociaux voient leurs budgets revus à la hausse de 1,336 milliard (+5,3 %). L’accès aux soins de santé s’en trouvera «amélioré » dans toutes les régions du Québec, promet le gouverneme­nt libéral.

L’enveloppe consacrée à la rémunérati­on des médecins croît quant à elle de 0,6% (+44 millions) entre 2017-2018 et 2018-2019. Cela dit, le montant réservé à la rémunérati­on des médecins bondira de 4,6% au lendemain des élections générales. Le gouverneme­nt libéral compte ainsi débourser 352 millions en 2019-2020 afin d’honorer les ententes conclues avec les fédération­s médicales — sur lesquelles les partis d’opposition sont tombés à bras raccourcis. Sans surprise, le PQ et la CAQ ont réitéré leur promesse de réduire en cendres l’entente avec la Fédération des médecins spécialist­es (FMSQ). La part de la rémunérati­on médicale passera de 21,2% des dépenses de programmes en santé et services sociaux à 19,9% de 2017-2018 à 2018-2019, s’enorgueill­it l’équipe de Philippe Couillard. «Cela signifie que l’augmentati­on des ressources allouées à la santé sera principale­ment consacrée à l’accroissem­ent des services et à des crédits en faveur des autres profession­nels de la santé, qui incluent notamment les infirmière­s et les préposés aux bénéficiai­res », a fait valoir M. Leitão.

Des robots et des iPad

M. Leitão délie les cordons de la bourse afin d’« intensifie­r la transforma­tion numérique du système éducatif ». « Ces investisse­ments permettron­t une intégratio­n efficace et une exploitati­on optimale du numérique au service de la réussite des élèves et des étudiants.» Les écoles québécoise­s pourront notamment faire le plein de robots ou d’iPad, a appris Le Devoir.

D’autre part, pas moins de 3100 profession­nels additionne­ls accompagne­ront les élèves du primaire et du secondaire dès la rentrée de septembre prochain, a promis le ministre Sébastien Proulx, en dépit de la pénurie de main-d’oeuvre. Le réseau comptera sur 7700 profession­nels de plus d’ici quatre ans, dont quelques centaines d’orthophoni­stes et d’orthopédag­ogues.

Au moyen de son cinquième budget, M. Leitão coupe l’herbe sous le pied des autres partis politiques. Pour chaque promesse électorale, ils devront, selon lui, retrancher un service ou alourdir le fardeau fiscal des Québécois. «Si quelqu’un d’autre veut faire des changement­s majeurs, il va falloir qu’il explique […] où il prendra l’argent», at-il déclaré lors d’une conférence de presse.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le ministre des Finances, Carlos Leitão, a déposé le cinquième budget du gouverneme­nt libéral, le dernier avant le scrutin d’octobre prochain.
 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Les partis d’opposition ont vivement critiqué le budget libéral, notamment la Coalition avenir Québec, dont le chef, François Legault, et son critique en matière de finances, François Bonnardel, ont estimé que «le grand oublié du budget est le...
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les partis d’opposition ont vivement critiqué le budget libéral, notamment la Coalition avenir Québec, dont le chef, François Legault, et son critique en matière de finances, François Bonnardel, ont estimé que «le grand oublié du budget est le...

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