Le pays des merveilles
Sabrer sans retenue en début de mandat pour mieux dépenser à la veille de l’élection est une recette universellement connue, mais il faut reconnaître au gouvernement Couillard de l’avoir appliquée à la perfection.
La lecture du budget que Carlos Leitão a présenté mardi, qui servira de cadre financier à la campagne libérale, donne l’impression d’un voyage au pays des merveilles, avec tous les artifices propres aux contes de fées. En comparaison, même les mémorables «vallées verdoyantes» de Bernard Landry prennent des allures de savane.
Soit, c’est en pigeant 1,6 milliard dans le fonds de stabilisation qu’il a pu annoncer pour 2018-2019 une hausse des dépenses de programmes de 5,2 %, qui sera toutefois suivie d’augmentations nettement plus modestes au cours des années suivantes. Ce qui a fait dire au prédécesseur péquiste de M. Leitão, Nicolas Marceau, qu’« on retombe dans l’austérité au lendemain des élections ».
Sur papier, le tableau brossé par le ministre des Finances n’en demeure pas moins séduisant: une économie qui ne s’est pas portée aussi bien depuis 20 ans, un taux de chômage à un plancher historique, un réinvestissement dans les services publics supérieur à la hausse des «coûts de système», des dépenses d’infrastructure plus importantes que jamais… Le Québec est actuellement enfermé dans un véritable «cercle vertueux» de croissance, a déclaré M. Leitão.
À l’en croire, même un échec des négociations sur l’ALENA ne suffirait pas à l’en faire sortir, dans la mesure où une éventuelle baisse du dollar canadien en diminuerait l’impact. «Il n’y aura pas de récession de sitôt», a assuré M. Leitão. Le ministre des Finances est un homme d’un naturel optimiste, selon qui «il ne faut jamais s’inquiéter dans la vie ».
Si on veut se débarrasser des libéraux, c’est maintenant ou jamais
C’est là le danger pour les libéraux: à partir du moment où M. Leitão assure qu’il y a maintenant «une base solide pour bâtir l’avenir du Québec », il n’y a plus lieu pour les électeurs de craindre un changement de gouvernement.
En 2008, l’incertitude économique et financière avait permis à Jean Charest de faire campagne sur la nécessité de confier le volant à des mains sûres. Si la situation est maîtrisée, même un parti aussi inexpérimenté que
la CAQ ne semble pas présenter un bien grand risque. Bref, si on veut se débarrasser des libéraux, c’est maintenant ou jamais.
D’autant plus qu’au lendemain de l’élection, un nouveau gouvernement ne pourra pas prétendre avoir découvert le traditionnel «trou» dans les finances publiques qui lui permettrait de revenir sur les promesses faites durant la campagne en rejetant le blâme sur son prédécesseur. Pour la première fois, la vérificatrice générale devra faire un examen exhaustif des états financiers présentés par le gouvernement sortant et publier un rapport en août prochain.
À entendre François Legault, le pays des merveilles de M. Leitão deviendra encore plus merveilleux avec un gouvernement caquiste. Non seulement il confirmerait les investissements annoncés dans les services publics et les grands projets de transport en commun, mais il réduirait aussi le fardeau fiscal des familles.
Comment ? « Il y a encore de l’argent dans le fonds de stabilisation », a-t-il expliqué, même s’il reconnaît que la ponction de 1,6 milliard faite par M. Leitão signifie en réalité que son budget n’est pas en équilibre. Surtout, la CAQ forcerait les médecins à rendre le milliard qu’on leur a versé en trop. Au pays des merveilles, il n’y a rien d’impossible.
Tout ne peut quand même pas être parfait. Contrairement aux années précédentes, M. Leitão n’a cependant pas jugé utile d’inclure dans son discours les traditionnels paragraphes consacrés au contentieux avec Ottawa.
Malgré la baisse de la croissance du Transfert canadien en santé, le ministre des Finances aurait eu mauvaise grâce de se plaindre de l’insuffisance des paiements fédéraux puisqu’ils ont augmenté de 12 % cette année.
M. Legault voit dans la hausse anticipée de la péréquation « l’échec annoncé » du gouvernement Couillard en matière d’économie, dans la mesure où cela signifie que le Québec demeure à la traîne des autres provinces canadiennes. Sans l’apport d’Ottawa, M. Leitão n’aurait pas été capable de présenter un tableau aussi rose.