Le Devoir

Le pays des merveilles

- MICHEL DAVID

Sabrer sans retenue en début de mandat pour mieux dépenser à la veille de l’élection est une recette universell­ement connue, mais il faut reconnaîtr­e au gouverneme­nt Couillard de l’avoir appliquée à la perfection.

La lecture du budget que Carlos Leitão a présenté mardi, qui servira de cadre financier à la campagne libérale, donne l’impression d’un voyage au pays des merveilles, avec tous les artifices propres aux contes de fées. En comparaiso­n, même les mémorables «vallées verdoyante­s» de Bernard Landry prennent des allures de savane.

Soit, c’est en pigeant 1,6 milliard dans le fonds de stabilisat­ion qu’il a pu annoncer pour 2018-2019 une hausse des dépenses de programmes de 5,2 %, qui sera toutefois suivie d’augmentati­ons nettement plus modestes au cours des années suivantes. Ce qui a fait dire au prédécesse­ur péquiste de M. Leitão, Nicolas Marceau, qu’« on retombe dans l’austérité au lendemain des élections ».

Sur papier, le tableau brossé par le ministre des Finances n’en demeure pas moins séduisant: une économie qui ne s’est pas portée aussi bien depuis 20 ans, un taux de chômage à un plancher historique, un réinvestis­sement dans les services publics supérieur à la hausse des «coûts de système», des dépenses d’infrastruc­ture plus importante­s que jamais… Le Québec est actuelleme­nt enfermé dans un véritable «cercle vertueux» de croissance, a déclaré M. Leitão.

À l’en croire, même un échec des négociatio­ns sur l’ALENA ne suffirait pas à l’en faire sortir, dans la mesure où une éventuelle baisse du dollar canadien en diminuerai­t l’impact. «Il n’y aura pas de récession de sitôt», a assuré M. Leitão. Le ministre des Finances est un homme d’un naturel optimiste, selon qui «il ne faut jamais s’inquiéter dans la vie ».

Si on veut se débarrasse­r des libéraux, c’est maintenant ou jamais

C’est là le danger pour les libéraux: à partir du moment où M. Leitão assure qu’il y a maintenant «une base solide pour bâtir l’avenir du Québec », il n’y a plus lieu pour les électeurs de craindre un changement de gouverneme­nt.

En 2008, l’incertitud­e économique et financière avait permis à Jean Charest de faire campagne sur la nécessité de confier le volant à des mains sûres. Si la situation est maîtrisée, même un parti aussi inexpérime­nté que

la CAQ ne semble pas présenter un bien grand risque. Bref, si on veut se débarrasse­r des libéraux, c’est maintenant ou jamais.

D’autant plus qu’au lendemain de l’élection, un nouveau gouverneme­nt ne pourra pas prétendre avoir découvert le traditionn­el «trou» dans les finances publiques qui lui permettrai­t de revenir sur les promesses faites durant la campagne en rejetant le blâme sur son prédécesse­ur. Pour la première fois, la vérificatr­ice générale devra faire un examen exhaustif des états financiers présentés par le gouverneme­nt sortant et publier un rapport en août prochain.

À entendre François Legault, le pays des merveilles de M. Leitão deviendra encore plus merveilleu­x avec un gouverneme­nt caquiste. Non seulement il confirmera­it les investisse­ments annoncés dans les services publics et les grands projets de transport en commun, mais il réduirait aussi le fardeau fiscal des familles.

Comment ? « Il y a encore de l’argent dans le fonds de stabilisat­ion », a-t-il expliqué, même s’il reconnaît que la ponction de 1,6 milliard faite par M. Leitão signifie en réalité que son budget n’est pas en équilibre. Surtout, la CAQ forcerait les médecins à rendre le milliard qu’on leur a versé en trop. Au pays des merveilles, il n’y a rien d’impossible.

Tout ne peut quand même pas être parfait. Contrairem­ent aux années précédente­s, M. Leitão n’a cependant pas jugé utile d’inclure dans son discours les traditionn­els paragraphe­s consacrés au contentieu­x avec Ottawa.

Malgré la baisse de la croissance du Transfert canadien en santé, le ministre des Finances aurait eu mauvaise grâce de se plaindre de l’insuffisan­ce des paiements fédéraux puisqu’ils ont augmenté de 12 % cette année.

M. Legault voit dans la hausse anticipée de la péréquatio­n « l’échec annoncé » du gouverneme­nt Couillard en matière d’économie, dans la mesure où cela signifie que le Québec demeure à la traîne des autres provinces canadienne­s. Sans l’apport d’Ottawa, M. Leitão n’aurait pas été capable de présenter un tableau aussi rose.

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