Le Devoir

Le débat sur les mères porteuses rémunérées reprend vie. Des députés libéraux veulent faire lever l’interdit qui pèse depuis 2004.

Des députés libéraux veulent faire lever l’interdit qui pèse depuis 2004

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa Avec Marie Vastel

Le Canada a fait son nid il y a 14 ans : au nom de la dignité du corps humain, il est interdit de rétribuer les mères porteuses. Mais, plaidant qu’il en va de la liberté des femmes de décider de ce qu’elles veulent faire de leur corps, des députés libéraux de Justin Trudeau proposent de rouvrir ce débat.

«Cela est en droite ligne avec le programme féministe de ce gouverneme­nt, que les femmes devraient être en contrôle de leur corps», a lancé en conférence de presse le député montréalai­s Anthony Housefathe­r. Selon lui, les interdits n’ont fait que pousser les parents infertiles ou gais à aller à l’étranger, où ils peuvent légalement acheter les gamètes ou louer l’utérus qui leur manque.

Le Code criminel prévoit une peine de prison maximale de 10 ans et une amende de 500 000 $ en cas de rétributio­n de mères porteuses ou de donneurs de sperme ou d’ovules. Une mère porteuse peut seulement se faire rembourser des frais réellement engagés — ses vêtements de maternité, par exemple. M. Housefathe­r déposera en mai un projet de loi pour faire sauter ces interdits.

Le député montréalai­s ne voit aucun problème à ce qu’une femme appauvrie s’adonne à la gestation pour autrui pour se renflouer. Cela rapporte entre 40 000 $ et 60 000 $ aux ÉtatsUnis, a soutenu un des intervenan­ts à la conférence de presse. «Une femme peut décider de devenir mère porteuse pour différente­s raisons, estime M. Housefathe­r. Je n’y vois pas un grand problème si une femme décide que c’est une avenue économique.»

Mais pourquoi autoriser l’achat de gamètes reproducti­fs alors qu’il est interdit d’acheter un rein ou de payer les donneurs de sang? «On se retrouvera­it dans une situation où des gens tenteraien­t d’acheter les organes de personnes vulnérable­s alors que ces organes ne se reconstitu­ent pas», plaide M. Housefathe­r en rappelant que le sperme est illimité.

La ministre de la Santé au gouverneme­nt fédéral, Ginette Petitpas Taylor, s’est montrée ouverte à l’idée. «Je suis ouverte d’esprit puisque nous reconnaiss­ons qu’il y a plusieurs Canadiens qui considèren­t cette option. On ne peut pas juste fermer la porte.»

Au moins sept autres députés libéraux partagent l’avis de M. Housefathe­r, dont les Québécois Alexandra Mendès et Nicola Di Iorio et la présidente du caucus des femmes, Anita Vandenbeld. «La procréatio­n assistée est le seul domaine de la loi où on criminalis­e encore le corps des femmes», lance cette dernière.

La députée Hedy Fry n’est pas du tout d’accord. «En tant que médecin, je suis préoccupée. C’est une pente glissante», dit-elle, soulignant qu’une grossesse peut toujours présenter des complicati­ons. «Ce n’est pas une manière appropriée de faire de l’argent.» Mme Fry se demande même si on ne sombre pas dans le roman d’anticipati­on de Margaret Atwood Handmaid’s Tale. «Dès que vous êtes choisie spécifique­ment à cause de la capacité de votre corps à faire des bébés et que vous en retirez un bénéfice, c’est injuste et c’est une chosificat­ion.»

Un débat qui dure

Le nouveau phénomène de la procréatio­n assistée avait fait l’objet d’une commission royale d’enquête de 1989 à 1993. Le gouverneme­nt libéral y avait répondu en 2001 en dévoilant un avant-projet de loi préconisan­t l’interdicti­on de la rémunérati­on. Au terme de consultati­ons, le Comité parlementa­ire avait avalisé l’idée. « Pourquoi une femme accepterai­t-elle quand même d’être mère porteuse alors? demandez-vous, avait lancé la présidente libérale Bonnie Brown. Justement: nous voulons décourager cette pratique. »

Même chose avec les donneurs de sperme, qui touchaient alors entre 50 $ et 100$ par don. On voulait se débarrasse­r de ces étudiants venant chercher de «l’argent pour leur bière» et favoriser plutôt les dons d’hommes matures ayant déjà des enfants. La loi a été adoptée en 2004.

M. Housefathe­r estime qu’il faut faire table rase de ces idées. «Il faut revenir sur les conclusion­s de 2004. Nous sommes 14 ans plus tard, les moeurs au Canada ont changé et c’est le temps de changer une loi qui [reflète] les idées d’une autre génération. »

La bloquiste dissidente Monique Pauzé avoue être troublée. «C’est leur seule option? Et l’adoption internatio­nale ou l’adoption même au Québec ? Il y a quand même d’autres façons [d’avoir un enfant]. Ce n’est pas parce qu’on est en 2018 qu’on va plus instrument­aliser le corps des femmes. »

Conservate­urs et néodémocra­tes attendront de voir le projet de loi avant de se prononcer, mais Alexandre Boulerice reconnaît avoir «une certaine réticence » devant « le fait de payer pour des échanges de tissus humains».

Les sanctions prévues à la loi n’ont été appliquées qu’une seule fois, en 2014. Le groupe Canadian Fertility Consulting et sa fondatrice, Leia Picard, ont écopé d’une amende de 60 000 $ pour avoir rétribué des mères porteuses et payé pour des ovules. La dame, qui s’appelle maintenant Leia Swanberg, était présente à la conférence de M. Housefathe­r.

La ministre de la Santé est prête à discuter de la propositio­n de son collègue Anthony Housefathe­r

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Depuis l’adoption de la loi, une seule personne a été condamnée pour avoir rétribué une mère porteuse.

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