Le Devoir

Rumeurs de guerre froide

- CHARLES BENJAMIN Professeur de science politique au cégep Saint-Jeansur-Richelieu

Le 100e anniversai­re de la révolution socialiste de 1917 a presque été ignoré en Russie l’an dernier. Vladimir Poutine n’a pas voulu commémorer l’acte fondateur de l’URSS ni honorer la mémoire de Lénine, son grand artisan. Il a refusé de célébrer la chute du tsar Nicolas II, dernier gardien de l’empire russe et souvenir d’une gloire passée.

Vladimir Poutine regrette pourtant la disparitio­n de l’URSS. Sa nostalgie d’une puissance perdue a fait son succès politique. Sa réélection survient dans un climat de tension internatio­nale qui rappelle celui de la guerre froide. La Russie a annexé une partie de l’Ukraine et a fait preuve de brutalité militaire en Syrie. Elle a dévoilé des armes nucléaires « invincible­s » capables de percer les défenses ennemies. Les États-Unis l’accusent de s’être immiscée dans ses élections, tandis que le Royaume-Uni lui attribue l’empoisonne­ment d’un ex-espion russe.

Malgré les apparences, le monde ne se dirige pas vers un nouvel affronteme­nt Est-Ouest. Le maître du Kremlin n’en a pas les moyens ni l’ambition. Une mentalité de guerre froide s’est toutefois installée aux États-Unis. Elle pourrait profiter à la Russie et compromett­re la sécurité de l’Occident.

Ancien officier du KGB, Vladimir Poutine a vécu l’éclatement de l’URSS en 1991 comme «la plus grande catastroph­e géopolitiq­ue du XXe siècle». Son prédécesse­ur, Boris Eltsine, a inféodé la Russie à l’Occident en acceptant les diktats économique­s du FMI. La Serbie, alliée héréditair­e de la Russie, a subi les bombardeme­nts de l’OTAN, une alliance militaire sous tutelle américaine.

Depuis son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine a combattu le projet de bouclier antimissil­e américain qui a été installé à proximité de la Russie. D’ex-république­s soviétique­s ont intégré l’OTAN. Les États-Unis ont soutenu les « révolution­s de couleur» qui ont délogé des régimes proches de Moscou. L’armée américaine a renversé les dictateurs irakien et libyen contre l’avis de la Russie.

L’homme fort du Kremlin voue un culte au tsar Pierre le Grand. Il souhaite redresser la Russie et lui redonner sa grandeur. Malgré une rhétorique agressive, il n’est toutefois pas un aventurist­e et reste un stratège prudent. Il a annexé la péninsule de Crimée, qui abrite une base navale stratégiqu­e, mais refuse de rattacher les deux république­s sécessionn­istes de l’est de l’Ukraine. Il appuie Bachar al-Assad en Syrie, l’un de ses rares alliés, en réalisant la difficulté de s’extirper du conflit qui s’enlise.

Illusions de guerre froide

Le monde unipolaire dominé par les ÉtatsUnis n’existe plus, mais il n’a pas basculé dans une nouvelle bipolarité. La Russie dépense dix fois moins dans l’armement que la défense américaine et ne dispose que d’un seul porte-avions pour projeter sa force. Sa population est déclinante et son économie est prisonnièr­e d’un secteur énergétiqu­e volatil. Son PIB n’équivaut qu’à 8 % de celui des États-Unis.

La Russie n’incarne plus une alternativ­e idéologiqu­e à la démocratie libérale. Les États-Unis ont remporté la compétitio­n contre l’URSS, car leur modèle de société a séduit une plus grande partie de l’humanité que celui de leur rival. Ils continuent d’exercer ce « soft power » en exportant le «rêve américain». À l’inverse, le socialisme révolution­naire de Lénine s’est éteint et a été remplacé en Russie par un nationalis­me irrédentis­te qui n’a pas de vocation universell­e.

La sphère d’influence de la Russie s’est rétrécie et n’a plus de portée globale. Hormis ses visées en Syrie, Vladimir Poutine a des prétention­s d’abord régionales. Ses désaccords avec l’Occident touchent l’«étranger proche», les voisins limitrophe­s de la Russie. La Chine a obéi à l’URSS durant la guerre froide avant de s’en affranchir; c’est aujourd’hui la Russie qui courtise la Chine dans un triangle diplomatiq­ue avec les États-Unis.

À Washington, l’ancien président Barack Obama a compris les faiblesses de la Russie et a fait le pari modeste de la «patience stratégiqu­e ». Il s’est obstiné à ne pas armer l’Ukraine contre les rebelles prorusses et a laissé l’initiative militaire à la Russie en Syrie. Il a évité la surenchère, sachant que Moscou tenait plus à ces pays et n’hésiterait pas à neutralise­r l’action américaine.

Son successeur républicai­n a promis une Amérique isolationn­iste réconcilié­e avec la Russie. Derrière un ton complaisan­t, Donald Trump a pourtant durci la doctrine militaire des États-Unis et considère désormais la Russie comme une « puissance révisionni­ste ». Il a haussé les dépenses militaires et a abaissé le seuil d’utilisatio­n des armes nucléaires. Il a expédié des armes létales à l’Ukraine. L’OTAN, dont il ne conteste plus l’utilité, a renforcé ses effectifs à la frontière de la Russie.

Une mentalité de guerre froide s’est emparée de la Maison-Blanche. Les États-Unis sont entraînés dans une course à l’armement que la menace russe ne justifie pas. La Russie a des capacités de nuisance, mais ne peut renverser l’ordre internatio­nal. La nouvelle posture américaine pourrait provoquer un rapprochem­ent entre la Russie et la Chine au détriment de la sécurité occidental­e. Vladimir Poutine n’est pas Joseph Staline. 2018 n’est pas 1948.

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MIKHAIL KLIMENTYEV/SPUTNIK/AGENCE FRANCE-PRESSE Vladimir Poutine voue un culte au tsar Pierre le Grand.

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