Le Devoir

Savoir autochtone: les mythes scientifiq­ues et les mythes sociaux ne s’équivalent pas

- RAYMOND AUBIN Artiste en arts visuels et docteur en intelligen­ce artificiel­le Gatineau

Dans leur texte intitulé «Qui a peur des savoirs autochtone­s?» (Le Devoir, le lundi 26 mars), M. Thomas Burelli et ses coauteurs critiquent, au nom de l’égalité entre les savoirs, la position du gouverneme­nt du Québec qui prône la primauté des connaissan­ces scientifiq­ues sur les savoirs autochtone­s dans l’évaluation d’impact en matière environnem­entale.

Les mythes sont des constructi­ons imaginaire­s qui permettent aux grandes sociétés complexes d’exister. Ils servent à ordonner un monde autrement contingent et chaotique. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Yuval Noah Harari dans Sapiens. Comparé aux autres mythes — religieux, sociaux, artistique­s et philosophi­ques —, le mythe scientifiq­ue est d’invention relativeme­nt récente, soit plus ou moins 400 ans. On connaît sa méthode: un problème clairement défini, des observatio­ns et des mesures effectuées sans biais et l’applicatio­n de la logique et des mathématiq­ues dans l’analyse de ces données et des conclusion­s qu’on peut en tirer.

Le mythe scientifiq­ue est-il en soi supérieur aux autres? Non, disent en choeur les postmodern­es, car tout se vaut. Ils n’ont pas complèteme­nt tort parce que tous les mythes sont des constructi­ons imaginaire­s. Le mythe scientifiq­ue se démarque pourtant parce qu’on exige de lui l’efficacité, c’est-à-dire l’aptitude à produire des connaissan­ces et à résoudre des problèmes nouveaux. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Gérard Bouchard dans Raison et déraison du mythe.

Le savoir autochtone peut être pertinent, il l’est sûrement, mais il ne s’agit pas d’un savoir scientifiq­ue. Il faut pouvoir nommer les choses. La question que pose le gouverneme­nt du Québec sous la plume de M. Beauchesne est celle de l’efficacité. Devant la difficile équation du développem­ent durable, quels mythes seront les plus efficaces: le mythe scientifiq­ue ou les mythes sociaux des Premières Nations ?

Une confusion

L’argumentai­re de M. Burelli et de ses coauteurs entretient la confusion entre valeur scientifiq­ue et acceptabil­ité sociale. Les deux peuvent et doivent être maintenues séparées. On en voit l’exemple tous les jours, notamment dans le domaine de la santé. Ainsi, l’homéopathi­e, qui n’a aucune valeur scientifiq­ue, c’est-à-dire aucune efficacité, est acceptée socialemen­t par plusieurs alors que la chimiothér­apie, fondée scientifiq­uement, est rejetée par une certaine frange sociale. J’aime l’idée que le gouverneme­nt du Québec prenne en compte l’acceptabil­ité sociale de tout projet de développem­ent en parallèle avec d’autres considérat­ions. Ce souci concerne les Premières Nations tout autant que les autres collectivi­tés du Québec. Il est tout à fait légitime de mettre de côté un projet scientifiq­uement fondé, mais rejeté socialemen­t. Mais l’inverse est-il souhaitabl­e ?

Finalement, l’article de M. Burelli et de ses coauteurs contient un désagrémen­t : il tient un procès d’intention. Des termes comme «réducteur», «contreprod­uctif», «offensant» ainsi que « méfiance » et « tentative de contrôle » pour qualifier l’approche du gouverneme­nt du Québec relèvent du jugement de valeur. On peut entretenir des réserves concernant la philosophi­e postmodern­iste du tout-se-vaut des auteurs sans pour autant être ignorant ou mal intentionn­é.

En guise de conclusion, je me permets une question ironique, mais symbolique. Si jamais ils développen­t un cancer, M. Burelli et ses coauteurs iront-ils consulter un chamane autochtone ou un oncologue ?

Newspapers in French

Newspapers from Canada