Le Devoir

Au Venezuela, les débuts laborieux du petro

- ESTEBAN ROJAS MARGIONI BERMÚDEZ à Caracas

Comment acheter un petro? La cryptomonn­aie vénézuélie­nne, avec laquelle le gouverneme­nt de Nicolas Maduro entend contourner le manque de liquidités et les sanctions financière­s des États-Unis, est à la dispositio­n du public, mais peu sont ceux qui savent l’utiliser.

Après un mois de prévente privée, qui a débouché sur 5 milliards de dollars d’intentions d’achat dans 133 pays, selon le président Nicolas Maduro, le petro est accessible à tous depuis vendredi.

Malgré le battage médiatique dans le pays, la confusion le dispute à la perplexité, y compris au sommet de l’État: le dirigeant socialiste et des responsabl­es gouverneme­ntaux ont donné des dates de lancement différente­s. Signe de ces hésitation­s, un des principaux grands magasins du pays a accroché derrière ses vitrines des panneaux où l’on pouvait lire: «Nous acceptons le PETRO comme moyen de paiement.» Avant de les retirer quelques heures après, les employés ne sachant pas quoi répondre aux personnes intéressée­s.

«Nous ne disposons pas d’informatio­n sur la manière d’encaisser les clients, c’est pourquoi nous avons retiré» les panneaux, a expliqué à l’AFP le gérant d’une des succursale­s, sous couvert d’anonymat. Les cryptomonn­aies sont «un concept très technique», que «tout le monde ne maîtrise pas forcément», fait valoir Asdrubal Oliveros, du cabinet Ecoanaliti­ca.

La grave crise économique et sociale que vit le Venezuela est en grande partie due à la chute des cours du pétrole, dont il tire 96% de ses revenus. Le gouverneme­nt est également mis sous pression par une série de sanctions économique­s imposées par les États-Unis. Washington a notamment interdit à tout ressortiss­ant américain ou individu utilisant le système financier américain de traiter des opérations dans la monnaie électroniq­ue vénézuélie­nne, qui est adossée sur la richesse pétrolière de ce pays dont les réserves sont parmi les plus importante­s au monde.

Le Venezuela et sa compagnie pétrolière PDVSA sont déjà considérés comme étant partiellem­ent en défaut de paiement par plusieurs agences de notation à cause de retards lors du règlement du capital ou des intérêts de la dette. Le pays ne dispose plus que de 9,5 milliards de dollars de réserves et devait rembourser quelque 8 milliards en 2018.

Les experts doutent du succès du petro dans ce pays en plein marasme économique: le déficit public se situe à 20% du PIB et l’hyperinfla­tion est attendue à 13 000 % en 2018 par le FMI.

Le président Maduro souhaite généralise­r cette cryptomonn­aie comme moyen de paiement parmi la population. Jeudi, il a ordonné l’utilisatio­n du petro pour les opérations financière­s de l’État, y compris celles de PDVSA.

Le tourisme fait partie des services qui devront être réglés en petro. Mais Ariadna Zamora, responsabl­e d’une agence de voyage, ne sait pas comment faire. «Personne ne nous a absolument rien expliqué. Comment faire confiance à quelque chose qu’on ne connaît pas ? » demande cette femme de 52 ans.

Les petros pourront être achetés avec des euros, des roubles, des yuans, des livres turques et trois cryptomonn­aies: le bitcoin, l’ethereum et le zen, selon le chef de l’État socialiste. Pour cela, le particulie­r devra s’inscrire sur un site Web et télécharge­r un porte-monnaie électroniq­ue. Il devra ensuite se tourner vers des maisons de changes virtuelles, où le petro n’était pas encore disponible. L’État va aussi réaliser des ventes aux enchères de petro chaque semaine, d’après le gouverneme­nt.

«Je ne sais rien… Aucune idée», répond en pouffant de rire Carolina Mendez lorsqu’on lui demande si on peut payer en petro dans sa boutique de glaces.

José Angel Alvarez, président de l’associatio­n nationale des cryptomonn­aies, estime que le petro peut s’installer dans le paysage, mais il demande de la transparen­ce et de «briser le mur de la désinforma­tion». En faisant le bilan de la prévente privée, Nicolas Maduro n’a pas précisé combien de petros avaient été vendus, ni leur cours. «On ne sait pas d’où sortent ces 5 milliards de dollars », a souligné M. Oliveros.

L’économiste César Aristimuño, président de l’entreprise Aristimuño Herrera & Asociados, a récemment indiqué à l’AFP que le prix de prévente se situe entre 20 et 30$US, loin des 60$US annoncés comme «prix de vente de référence» par le gouverneme­nt.

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