L’approche Rad fait des petits à Radio-Canada
Le laboratoire de journalisme numérique tourné vers les jeunes influence les façons de faire traditionnelles à l’interne
Àla naissance de Rad, le laboratoire de journalisme de Radio-Canada à la conquête de nouveaux formats et de nouveaux publics, le directeur de l’information Michel Cormier a préféré ne pas intégrer l’équipe fraîchement formée à la salle de rédaction, de peur «qu’elle ne se fasse avaler par la machine». Aujourd’hui, presque deux ans plus tard, il estime plutôt que c’est Rad qui déteint sur la machine.
Les têtes dirigeantes du projet Rad ont rencontré quelques journalistes mardi à Montréal pour parler du chemin parcouru par la quinzaine de travailleurs — dont six journalistes — qui forment l’équipe multidisciplinaire.
Rad est maintenant à la base de près d’une centaine de productions vidéo en ligne, diffusées sur Instagram, YouTube, mais principalement consultées sur Facebook, où le laboratoire s’est construit au fil des mois une communauté fidèle. Selon les chiffres de Radio-Canada, Rad a atteint plus de 20 millions de personnes et affiche un taux d’engagement (clics, commentaires, partages…) moyen de 8%, «soit le double de la moyenne» générale, estime Karim Boudiba, chef de produit numérique chez Rad.
Le coeur de la stratégie de cette branche radio-canadienne est de proposer une démarche journalistique rigoureuse, qui respecte les normes d’éthique du diffuseur public, mais avec une approche et un ton propres «aux citoyens numériques», qui sont en bonne partie les 18-34 ans.
L’objectif initial était double: rejoindre ce nouveau public qui s’intéresse peu à Radio-Canada, mais aussi en quelque sorte dépoussiérer, revamper l’approche journalistique bien ancrée dans la boîte partout au pays.
Et aux yeux de Michel Cormier, les résultats de ce deuxième objectif sont patents. «Il y a une émulation dans les formats, le storytelling, qui est beaucoup plus parlé. Il commence à y avoir une communauté journalistique dans la boîte qui partage ces valeurs-là, et qui s’interroge sur les nouvelles façons de faire. Et on encourage ça », dit-il, mentionnant le travail de Mathieu Dion et de Frédéric Arnould en ce sens.
Des apprentissages
Radio-Canada propose même à de jeunes journalistes dans ses stations régionales de travailler quelque temps chez Rad, «pour ensuite retourner chez eux et faire du nouveau journalisme, parce qu’on veut que ça s’étende à tout le réseau de Radio-Canada», souligne Michel Cormier.
Le directeur de l’information affirme même que plusieurs vétérans ont demandé à rejoindre l’équipe de Rad. « Mais on privilégie les jeunes, c’est leur chance d’avoir les mains sur le volant. Nous, on a eu notre chance pendant longtemps. »
Au fil des derniers mois, l’équipe de Rad a peaufiné son approche. Le choix des sujets, par exemple, part des journalistes et est soumis à l’ensemble de l’équipe, peu importe leur rôle.
«Souvent, les journalistes, on est superinformés, on lit tout, on connaît tout, illustre Johanne Lapierre, chef éditoriale de Rad. Et en demandant l’avis des gens qui ne viennent pas du tout du milieu, de nos jeunes développeurs qui sortent de l’école par exemple, ça nous aiguille beaucoup à savoir si les sujets intéressent ou comment les rendre intéressants. »
Mme Lapierre explique aussi que Rad a appris à miser sur une approche «authentique», les journalistes adoptant un ton de proximité, s’adressant à la caméra, expliquant leur quête.
«On a essayé de miser sur les forces de chacun. Il y en a qui vont [utiliser] plus d’humour, d’autres, de l’empathie. On essaie de vraiment prendre la personnalité de chacun et la faire ressortir.»
Sur le fond, ajoute Mme Lapierre, l’équipe de journalistes a aussi compris le grand besoin des plus jeunes publics d’avoir de la mise en contexte, ce qui diminue leurs frustrations par rapport à l’information.
Des plateformes en mutation
L’autre défi de ce genre de laboratoire numérique est de s’adapter aux différentes plateformes de diffusion.
«Là, notre communauté est beaucoup sur Facebook, et on est très fier de ça, mais il faut prévoir ce qui va se passer, précise Karim Boudiba. Est-ce qu’on veut vraiment les garder là, où est-ce qu’on veut les rapatrier sur une plateforme propre à nous? C’est ce qu’on commence à faire. »
Par ailleurs, Rad a récemment mis un peu plus d’efforts sur Instagram, et prépare des contenus plus adaptés aux codes de YouTube.
« On ne veut pas que Rad soit une bulle, un laboratoire fermé, précise toutefois Michel Cormier. On se dit qu’éventuellement, si on peut aller chercher des jeunes avec Rad et après les exposer à d’autres contenus numériques qui proviennent des autres grandes marques de Radio-Canada, y compris le Téléjournal, on aura réussi. »