Aux sources du futur
Spielberg fusionne ses penchants fantaisiste et humaniste dans l’irrésistible Player One
PLAYER ONE (V.F. DE READY PLAYER ONE)
Science-fiction de Steven Spielberg. Avec Tye Sheridan, Olivia Cooke, Lena Waithe, Ben Mendelsohn, Philip Zhao. États-Unis, 2018, 140 minutes.
Pendant la projection de Ready Player One , un constat s’impose assez vite: de toute évidence, Steven Spielberg a eu du plaisir à le tourner, ce film-là. Mine de rien, on a du mal à déterminer, précisément, quand on a ressenti cela devant un de ses films récents. Ce qui n’enlève rien à leurs mérites techniques ou dramaturgiques. Il est plutôt question d’une qualité… insaisissable, que l’on détecte parce que ce plaisir du cinéaste est, en l’occurrence, contagieux. Qui plus est, Spielberg trouve ici matière à fusionner ses deux penchants de prédilection, fantaisiste et humaniste. Cela, sur fond d’aventure rétro-futuriste d’un rare ludisme.
D’ailleurs, si ce mot — ludisme — vous horripile, inutile de lire plus avant. Il s’agit en effet, dans Ready Player One (Player One en version française), non seulement d’une caractéristique, mais d’une raison d’être. On y reviendra.
Basé sur un roman d’Ernest Cline, le film se déroule en 2044. En proie à la surpopulation, l’humanité est confinée dans des bidonvilles. Il fait gris, il fait moche et, à défaut de pouvoir, dans ce futur-là, se projeter dans l’avenir, les gens se sont retranchés dans un monde virtuel: l’Oasis, univers infini de divertissements devenu l’ultime diversion en attendant la fin.
Culture populaire
Mais voilà, le défunt inventeur de cet empire, James Hallyday (Mark Rylance), a caché en filigrane de sa création un jeu de pistes à l’issue duquel le vainqueur héritera du royaume, numérique, et de la compagnie, bien réelle, qui le gère.
Un détail important: Hallyday ayant grandi dans les années 1980, l’Oasis est truffé de références à la culture populaire de cette décennie (mais pas uniquement) en général et aux films qui y prirent l’affiche en particulier. De telle sorte que des joueurs comme Wade (Tye Sheridan), pourtant très jeune, en sont devenus des spécialistes.
Évidemment, une vile corporation et son directeur (Ben Mendelsohn) cherchent à s’approprier l’Oasis. Cela, au moment où Wade, avec l’aide d’amis de fortune (Olivia Cooke, Lena Waithe, Philip Zhao, Win Morisaki), commence à résoudre les énigmes élaborées par Hallyday.
Hommage
L’ouverture dans le ghetto où habite Wade est saisissante, alors que la caméra se promène dans une vaste cour à ferraille au milieu de laquelle ont été érigées des tours constituées de maisons mobiles et de roulottes superposées, sorte d’Habitat 67 du pauvre.
Le volet réel est filmé en images réelles, de la même façon que le monde virtuel est en images de synthèse. Le premier est drainé de sa couleur, exsangue, tandis que le second est, en contraste, tout hypercoloré, chatoyant.
L’un des passages les plus réjouissants voit les héros subir une immersion forcée dans l’hôtel hanté de Shining de Kubrick, reproduit à l’identique. Là comme dans pratiquement chaque plan de chaque scène, Steven Spielberg se paie la traite cinéphile en bourrant le cadre de clins d’oeil. On le précise: les spectateurs qui ne sont pas férus en la matière y trouveront leur compte néanmoins, mais l’expérience sera moins riche.
Car Ready Player One est d’abord une lettre d’amour à la culture geek (de laquelle est issu Spielberg). D’où cette proposition énoncée d’office du ludisme comme raison d’être du film.
Brio cinématographique
L’intrigue fonctionne toutefois parfaitement, même qu’elle est captivante. On assiste certes à une joute classique entre le bien et le mal, mais l’intérêt est rehaussé, d’une part, par les particularités du contexte et, d’autre part, par le brio cinématographique que déploie Spielberg pour mettre en scène celles-ci.
On ne l’a pas vu si en verve, sur le plan visuel, depuis I.A. Intelligence artificielle (A.I.), d’après justement une idée de feu son ami Kubrick. Cependant, et contrairement à ce film splendide mais souvent sombre et mélancolique, Ready Player One opte pour un ton d’une naïveté assumée qui rend possible le merveilleux. Des passages graves surviennent, mais un humour bon enfant prévaut.
On retrouve tout du long cette innocence que le cinéaste sut si merveilleusement traduire dans E.T. En somme, Steven Spielberg est revenu aux sources pour mieux imaginer le futur.