Le Devoir

Wes Anderson, égal à lui-même

Le réalisateu­r insuffle sa douce folie dans une fresque colorée aux décors en carton-pâte

- ANDRÉ LAVOIE

ISLE OF DOGS

1/2

Animation de Wes Anderson. Avec Bryan Cranston, Frances McDormand, Edward Norton, Greta Gerwig. États-Unis/Allemagne, 2018, 101 minutes. La version française sortira en salle au Québec le 13 avril.

Après Fantastic Mr. Fox (2009), une adaptation d’un roman du célèbre écrivain anglais Roald Dahl, la dextérité de Wes Anderson avec la technique d’animation en volume, ou stop motion, ne peut être mise en doute. Or, même avec des acteurs et en prises de vue réelles, le réalisateu­r de Rushmore et The Grand Budapest Hotel ne fait-il pas toujours un peu de l’animation? Ses personnage­s, disons-le sur un ton admiratif, s’avèrent souvent «bédéesques», d’où la magie singulière de ses films.

Comme beaucoup de dignes représenta­nts de la génération X, le jeune Anderson s’est gavé devant sa télévision de science-fiction japonaise, et cette empreinte est bien visible dans Isle of Dogs, une superbe fantaisie canine et animée où l’on retrouve son art, sa manière et, bien sûr, son ironie. Elle s’étale avec délice dans ces péripéties nipponnes à caractère futuriste, sans la présence bruyante de monstres gonflés au nucléaire.

Par contre, l’image est peuplée, surpeuplée, d’adorables chiens aux yeux expressifs, pleurant parfois à chaudes larmes, et pour cause: dans la ville de Megasaki (le nom est en soi un programme!), le maire, Kobayashi (Kunichi Nomura), a décidé d’appliquer le vieil adage voulant qu’on accuse son chien de la rage pour lui faire la peau. Afin de contenir une mystérieus­e épidémie, ces pauvres bêtes sont expédiées sur une île, ou plutôt un gigantesqu­e dépotoir, prétexte à certaines images de décomposit­ion dignes du cinéaste tchèque Jan Svankmajer. C’est dans cet immense bric-à-brac que débarque le jeune Atari (Koyu Rankin), déterminé à retrouver son précieux Spots (Liev Schreiber), défiant l’autorité du maire au point de créer une sorte de Printemps érable mené en parallèle par une étudiante américaine (Greta Gerwig).

Cette quête, le garçon ne la mène pas seul, appuyé par un formidable commando canin dominé par un chef intraitabl­e (Bryan Cranston, un nouveau venu sur la planète Anderson, choix judicieux), et des complices aux tempéramen­ts variables, aux voix distinctes (entre Bill Murray et Edward Norton, il y a un monde, mais une même dévotion). Avec cette atmosphère de fin du monde, de dictateurs fous et de paranoïa collective — les raisons de l’exterminat­ion relèvent de la propagande tonitruant­e, offrant des visions comparable­s aux images de Citizen Kane, rien de moins —, l’humour de Wes Anderson surgit, scintillan­t, dans ces amas de détritus et ces décors en carton-pâte.

Grâce à sa manière unique de cadrer comme s’il composait de vastes fresques, de placer ses personnage­s dans ces espaces parfois dénudés, parfois surchargés, toujours un peu figés, comme s’ils s’étaient échappés des toiles de Grant Wood, Wes Anderson nous offre un Japon qui ressemble à celui de son imaginaire d’enfant, de sa mémoire cinéphiliq­ue. Soucieux de ne pas bêtement plaquer sa culture sur une autre, il laisse ses héros japonais s’exprimer sans sous-titres (merci à Frances McDormand de jouer parfois à l’émouvante traductric­e), mais demeure avant tout fidèle à sa méthode. Celleci consiste à insuffler une folie douce à des ensembles colorés, contrastés, traversés par des figures atypiques débitant autant d’âneries que de propos édifiants, ou détonants. Échouer au milieu de Isle of Dogs, c’est vraiment ce qui peut vous arriver de mieux.

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Une scène tirée du film

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