L’aide à mourir sauvera des vies
Les dons d’organes pourraient augmenter de 10 % grâce à ce soin de fin de vie
Depuis 2015, une poignée de patients québécois ayant reçu l’aide à mourir ont fait don de leurs organes après leur mort. Une expérience rare, mais jugée à ce point positive que Transplant Québec (TQ) s’apprête à faire volteface et à adopter une politique plus favorable au don d’organes consécutif à cet ultime soin de fin de vie.
L’organisme qui supervise le don d’organes au Québec a confirmé au Devoir que « quelques cas» de dons d’organes se sont déjà faits dans un contexte d’aide à mourir et qu’à la faveur de ces expériences, Transplant Québec entend revoir sa position officielle sur cette délicate question d’ici l’été.
«On pense qu’il y a un bénéfice pour les patients de donner leurs organes. Si cela répond à leurs valeurs, ce serait discriminatoire de ne pas offrir cette possibilité de don à ceux qui ont choisi l’aide à mourir», explique le Dr Matthew Weiss, directeur médical du don d’organes chez TQ.
Dans un avis diffusé en 2016, le comité d’éthique de Transplant Québec s’était pourtant montré très réticent à ce que l’enjeu du don d’organes soit abordé auprès des patients réclamant l’aide à mourir (AMM). L’organisme jugeait que cette pratique risquait d’être «dommageable » pour le don d’organes et susceptible d’entacher l’image de ce geste altruiste.
«Certains pourraient croire que des méde-
Transplant Québec s’apprête à revoir sa politique sur cette question
cins suggèrent l’AMM à leurs patients pour obtenir des organes », mettait en garde cet avis, précisant que l’idée du don ne devait jamais être évoquée par les médecins dans le processus entourant l’aide à mourir. L’idée d’un don n’était éthiquement acceptable que si le patient en faisait lui-même la demande.
«Si la personne est assez compétente pour consentir à l’aide à mourir, elle est aussi assez éclairée pour donner ses organes», croit maintenant le Dr Weiss. Compte tenu de l’importance accordée à l’autonomie du patient, ces derniers doivent être pleinement informés de tous les enjeux soulevés entourant leur décès, ajoute-t-il.
Une nouvelle donne
Chose certaine, si on jugeait récemment hypothétique la possibilité que des patients demandant l’AMM fassent don de leurs organes, cette situation existe bel et bien. «Ça s’est fait au Québec, même un peu plus en Ontario. On ne peut pas donner de chiffres pour ne pas briser la confidentialité des donneurs. Des patients en attente de greffe ont reçu des organes grâce à cela. On peut penser que ces situations pourraient représenter entre cinq et dix donneurs par année », estime le Dr Weiss.
Si tel était le cas, ajoute-t-il, cela pourrait avoir un petit impact, quoique non négligeable, de 10 à 15% sur le nombre d’organes disponibles. «Mais cela dépend de facteurs imprévisibles, comme le choix des patients et le comportement des médecins. »
Le Québec et le reste du Canada se retrouvent donc parmi les rares endroits dans le monde où ce type de dons a déjà eu cours. BC Transplant, qui gère le don d’organes en Colombie-Britannique, a déjà recensé au moins une douzaine de dons venus de patients ayant reçu l’AMM. Un premier «don d’organe après euthanasie » a été recensé en 2005 en Belgique, où une vingtaine de patients ont fait ce même choix depuis, alors que les Pays-Bas ont rapporté 24 cas entre 2012 et 2016.
« Une chose doit être claire, insiste le Dr Weiss. Transplant Québec n’interviendra jamais dans le processus de décision de l’aide à mourir pour ne pas donner l’impression qu’il y a eu pression pour accroître le nombre de donneurs potentiels. Nous n’accepterons jamais de don si nous avons le moindre indice qu’il y a eu coercition dans la décision», insiste le porte-parole de Transplant Québec.
Conditions strictes
Selon Transplant Québec, seul le médecin traitant du patient en fin de vie sera habilité à aborder avec ce dernier la question du don d’organes, insiste le Dr Weiss. Ce médecin devrait aussi avoir clairement informé son patient des conditions spécifiques engendrées par son choix de donner ses organes, puisque les donneurs doivent subir certains tests médicaux et accepter de décéder à l’hôpital. Car, comme dans tous les autres cas de dons, le transfert du donneur vers la salle d’opération doit se faire rapidement pour assurer la préservation des organes. Les proches disposeront donc de peu de temps auprès du défunt après le trépas. Cet aspect du deuil doit être clairement expliqué au patient, insiste le Dr Weiss.
Au contraire des dons où les organes sont prélevés sur des donneurs en état de mort cérébrale maintenus artificiellement en vie, les dons consécutifs à l’aide à mourir s’effectueront dans le même contexte que ceux des donneurs qui décèdent par décès cardiorespiratoire (DDC).
«Pour l’aide à mourir, ce sont les médicaments utilisés qui provoquent la mort, donc nous avons peu de temps pour prélever les organes. Le patient doit être à proximité du bloc opératoire et sa famille informée à l’avance des procédures », dit-il.
Malgré tout, soutient le porte-parole de Transplant Québec, des personnes qui voulaient à tout prix effectuer un don ont accepté les circonstances particulières que ce choix impliquait.
Pour concilier le don d’organes à l’aide à mourir, il reste cependant beaucoup de sensibilisation à faire auprès des médecins et des patients eux-mêmes. Si les malades atteints de cancer ne peuvent espérer se qualifier comme donneurs, ceux atteints d’une maladie dégénérative pourraient répondre aux exigences requises pour faire don de certains organes.
En 2015, la Commission de l’éthique en sciences et en technologie du Québec (CEST) s’était montrée favorable à la conciliation des demandes d’aide à mourir avec celles du don d’organes, à la condition qu’un soutien particulier soit offert aux familles et aux soignants.
« Si la personne est assez compétente pour consentir à l’aide à mourir, elle est organes aussi assez éclairée pour donner ses »
Le Dr Matthew Weiss, Transplant Québec