Le Devoir

Bissonnett­e assume les conséquenc­es de son crime

Le tueur plaide coupable et présente ses excuses aux familles des victimes

- MARCO BÉLAIR-CIRINO à Québec

Alexandre Bissonnett­e a reconnu être l’auteur de la tuerie à la grande mosquée de Québec, mais a nié être un terroriste ou encore un islamophob­e. La communauté musulmane n’arrive pas à le croire.

« Je ne sais pas pourquoi j’ai commis un geste insensé comme ça et encore aujourd’hui, j’ai de la misère à y croire», a déclaré Alexandre Bissonnett­e, menottes aux poignets et aux chevilles, au palais de justice de Québec mercredi matin. «Malgré ce qui a été dit à mon sujet, je ne suis ni un terroriste ni un islamophob­e. Plutôt, je suis une personne qui a été emportée par la peur, par la pensée négative et par une sorte de forme horrible de désespoir», a-t-il ajouté d’un ton posé.

Les représenta­nts de la communauté musulmane de la région de la Capitale-Nationale s’expliquent mal les motifs ayant poussé l’homme de 28 ans à ouvrir le feu dans le Centre culturel islamique de Québec le 29 janvier 2017, arrachant la vie à six fidèles et bouleversa­nt celle de dizaines d’autres.

«Il n’a pas été un terroriste: ce sont ses arguments», a dit, perplexe, le président du Centre culturel islamique de Québec, Boufeldja Benabdalla­h. « Le mal est fait », a-t-il ajouté.

En effet, la peur a gagné des pratiquant­s musulmans aux quatre coins du pays, a souligné le porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens, Khalid Elgazzar. «Dans chaque mosquée, dans chaque ville au Canada, maintenant, les gens se demandent quand ils entrent: est-ce qu’on est en sécurité?», a dit l’avocat.

À ses yeux, le caractère islamophob­e de la tuerie dans la mosquée de Sainte-Foy crève les yeux. «Tous les gens ciblés étaient des musulmans. Il y avait même des enfants dans la mosquée à ce moment-là. Ce sont des meurtres prémédités, M. Bissonnett­e l’a avoué aujourd’hui. Alors, quant à moi, c’est un geste islamophob­e », a dit M. Elgazzar.

La publicatio­n de nouvelles informatio­ns mercredi après-midi selon lesquelles Alexandre Bissonnett­e était imprégné du discours anti-immigratio­n de Donald Trump et aurait été vu en train de faire du repérage sur le site de la mosquée au tournant de l’année 2017 épaissit le mystère sur ses motivation­s.

Revirement de situation

Alexandre Bissonnett­e a d’abord plaidé lundi matin non coupable à chacun des douze chefs d’accusation pesant sur lui — six de meurtre prémédité et six de tentative de meurtre avec une arme à feu à autorisati­on restreinte. Il a fait volte-face à peine quelques heures plus tard, après avoir pris connaissan­ce des derniers éléments de preuve que lui ont transmis les procureurs de la poursuite. Le juge François Huot a toutefois refusé d’entériner sur-le-champ le changement de décision, à première vue subit, de l’accusé. Les médias n’ont pu rapporter en début de semaine ce revirement de situation, puisque l’audience était frappée d’une ordonnance de non-publicatio­n.

Le magistrat de la Cour supérieure cherchait à s’assurer que l’homme était apte à subir son procès. «La réponse simple est: Monsieur [Bissonnett­e] est apte à subir son procès», a déclaré le psychiatre Sylvain Faucher à la Cour mercredi matin. Celui-ci avait rencontré à plus d’une occasion M. Bissonnett­e au fil des derniers mois. «M. Bissonnett­e envisageai­t déjà cette avenue-là [de plaider coupable] l’automne dernier», a-t-il fait remarquer.

La décision d’Alexandre Bissonnett­e n’avait pas pris de court ses proches. «Il revenait souvent avec le fait qu’il ne souhaitait pas qu’il y ait un procès, que les victimes aient à témoigner, et revivre les événements du 29 janvier 2017 à travers le procès», a indiqué son avocat, Charles-Olivier Gosselin.

Après avoir remercié le Dr Faucher, le juge François Huot a demandé à Alexandre Bissonnett­e de s’avancer jusqu’à la barre des témoins. Il lui a demandé s’il maintenait sa décision. La réponse a été affirmativ­e. Puis, le magistrat a lu un à un les chefs d’accusation, le déclarant coupable à douze reprises. Une froide chape de plomb s’est alors abattue sur la salle d’audience 4.14 du palais de justice de Québec. Plusieurs n’ont pu retenir leurs larmes ou leurs sanglots lorsque le nom d’un ami, d’un conjoint tué ou blessé le 29 janvier 2017 a été prononcé par le juge François Huot. Alexandre Bissonnett­e s’est essuyé les yeux à quelques reprises, tandis que ses parents, Manon Marchand et Raymond Bissonnett­e, ont contenu leur émotion.

Dans une courte allocution, Alexandre Bissonnett­e a dit avoir été «emporté par la peur, par la pensée négative et par une sorte de forme horrible de désespoir» jusqu’au Centre culturel islamique, situé dans le quartier Sainte-Foy, le 29 janvier 2017. « J’avais depuis longtemps des pensées, des idées suicidaire­s et une obsession avec la mort. C’est comme si je me battais avec un démon qui a fini par gagner contre moi. J’aimerais tant pouvoir revenir dans le temps et changer les choses », a-t-il poursuivi.

Tournant son regard vers la soixantain­e de personnes rassemblée­s dans la salle d’audience — parmi lesquelles se trouvaient six veuves et, dans son fauteuil roulant, Aymen Derbali, qu’il a criblé de balles il y a 14 mois — il a affirmé: «J’aimerais pouvoir vous demander pardon pour tout le mal que je vous ai fait, mais je sais que mon geste est impardonna­ble. Si au moins, en plaidant coupable, je peux vous faire un peu de bien dans tout ça, alors ça sera déjà ça de fait. Alors c’est pour ça, Monsieur le Juge, que j’ai plaidé coupable devant vous lundi et que j’ai validé ma décision», a-t-il conclu, avant d’être escorté dans le box des accusés.

Les fidèles musulmans accueillen­t avec « soulagemen­t» la décision de M. Bissonnett­e puisqu’elle leur permet «d’éviter un long processus judiciaire», a souligné l’ex-président du Centre culturel islamique de Québec Mohamed Labidi. Cela dit, un grand nombre de questions demeurent sans réponse. «On est restés sur notre faim après la déclaratio­n de M. Bissonnett­e, parce que ça a été très, très, très court», a-t-il ajouté.

Entre 25 et 150 ans de réclusion

L’auteur de la tuerie s’expose désormais à une peine d’emprisonne­ment sans possibilit­é de libération oscillant entre 25 et 150 ans.

Le juge François Huot a fixé la déterminat­ion de la peine au 10 avril prochain.

« Le ministère public réclamera une peine qui reflète l’ampleur du crime commis et des conséquenc­es de ces événements tragiques », a déclaré le procureur de la poursuite, Thomas Jacques, après avoir pris soin de mentionner aux médias que les aveux de culpabilit­é faits par Alexandre Bissonnett­e lundi après-midi «ne sont pas le fruit de discussion­s préalables entre la défense et la poursuite». «Il n’y a conséquemm­ent aucun accord sur la peine qui sera réclamée », a-t-il précisé.

Le membre fondateur du Centre culturel islamique de Québec, Boufeldja Benabdalla­h, réclame sans ambages la peine maximale, soit 150 ans d’emprisonne­ment sans possibilit­é de libération. «Le maximum [afin] que ce soit exemplaire: 150 ans, c’est la loi qui décide de ça, mais il faut que [la peine] soit exemplaire. La société n’a pas à subir ce genre de chose», a-t-il affirmé.

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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Boufeldja Benabdalla­h et Mohamed Labidi, du Centre culturel islamique de Québec, étaient quelque peu perplexes devant les explicatio­ns du tueur.
 ?? JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE ?? Aymen Derbali, blessé lors de l’attentat à la mosquée de Québec, était dans la salle d’audience du palais de justice de Québec quand Alexandre Bissonnett­e a plaidé coupable\.
JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Aymen Derbali, blessé lors de l’attentat à la mosquée de Québec, était dans la salle d’audience du palais de justice de Québec quand Alexandre Bissonnett­e a plaidé coupable\.

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