Le Devoir

L’histoire sous clé

Les archives de la Beauce ne sont plus accessible­s au public, faute d’argent

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

« C’est l’histoire de la Beauce qui est là», dit Pierre Gilbert, le maire de Saint-Joseph-de-Beauce. « Il y a là 800 000 documents, notamment photograph­iques, qui remontent aux origines de la colonisati­on du territoire.» Pourtant, la Société du patrimoine des Beaucerons (SPB) a dû fermer ses portes. Plus d’accréditat­ion du gouverneme­nt. Et à défaut de cette reconnaiss­ance, la contributi­on annuelle de 30 000 $ est tombée. Conséquemm­ent, le centre est fermé depuis fin décembre.

Pour le maire Gilbert, la situation est grave pour la Beauce dans son ensemble : « Si le gouverneme­nt ne fait pas un virage, il y a un paquet d’organismes du même genre qui vont mourir aussi. »

Qu’est-ce qui ne va pas? Non seulement ce soutien minimal est-il tombé,

mais les subvention­s n’ont pas été indexées, explique le maire au Devoir. «En clair, ça veut dire qu’on reçoit moins d’argent, en dollars constants, qu’il y a vingt ans. C’est gelé. Ou, si vous voulez, ça sèche au soleil.» Au final, quelques dollars font la différence entre la vie et la mort d’un organisme du genre, plaide le maire. « Avant, on recevait 30 000 $ environ. »

«Dans les dernières années, la SPB recevait un montant de 30 491 $. La moyenne nationale est de 30 150$» pour les centres d’archives du genre, précise au Devoir la direction des communicat­ions de Bibliothèq­ue et Archives nationales du Québec (BAnQ), de qui relèvent ultimement les collection­s de Saint-Joseph-deBeauce.

Hauts standards

L’ancien archiviste de la SPB, Daniel Carrier, explique que le centre a été conçu selon les plus hauts standards. «On a construit le centre idéal, selon le rêve du ministère de la Culture, à l’époque dirigé par Lise Bacon. On avait 50 000 $ de budget de fonctionne­ment en 1990. Ça n’a pas cessé de diminuer depuis! Mais fonctionne­r dans des normes semblables coûte de l’argent, toujours plus d’argent. »

Le maire Gilbert regrette que les efforts supplément­aires consentis par les citoyens pour générer davantage de revenus conduisent désormais à obtenir moins d’argent en contrepart­ie de la part de l’État. «Si, au fur et à mesure qu’on fait plus d’efforts, on obtient moins au final, ça n’a aucun sens. On veut bien garder les archives de la Beauce, mais on ne peut pas demander aux seuls 4900 habitants de notre ville d’assumer tout ça. L’appui du gouverneme­nt n’est pas là. »

Daniel Carrier a pris sa retraite à la suite de ces soubresaut­s. «On était deux archiviste­s au début. Depuis sept ans, j’étais seul.» Avec un salaire de 20 000$ à 25 000$ par année durant très longtemps, il estime qu’il a touché un demi-salaire pour faire le travail de deux personnes.

Selon Andrée Roy de l’associatio­n Patrimoine Beaucevill­e, «Daniel Carrier a tout donné ce qu’il pouvait. Il tenait la Société à bout de bras », sans compter le fait que les bénévoles nécessaire­s se font de plus en plus rares. Toujours selon Andrée Roy, ce n’est d’ailleurs pas le seul espace de défense du patrimoine qui est en difficulté dans la région. « Le CCPB [Comité culturel et patrimonia­l de Beaucevill­e] est aussi en difficulté présenteme­nt.»

Fermer pour économiser?

À Bibliothèq­ue et Archives nationales du Québec (BAnQ), on confirme au Devoir que la Société du patrimoine des Beaucerons n’a pas été considérée pour un renouvelle­ment de subvention et qu’elle a perdu son agrément auprès du ministère. Les documents 2018-2020 de la Société n’auraient pas été remplis à temps, dit BAnQ. La SPB pourra faire une nouvelle demande seulement pour 2020-2022.

En attendant, explique BAnQ, les documents de la SPB ne sont pas accessible­s au public. «Cependant, BAnQ continue d’assurer un rôleconsei­l auprès de l’organisme, notamment en ce qui a trait à la conservati­on et à la sécurité des documents qui sont sous sa garde. »

Pour Daniel Carrier, qui a passé sa vie au milieu de ces documents, il s’agit plutôt d’une façon de se débarrasse­r en douce de centres d’archives pour économiser. « Tous les centres d’archives ont été prévenus. En Beauce, on est au nombre de ceux qu’on a décidé de couper pour économiser.» Sur 39 centres d’archives privées agréés au Québec, BAnQ a recommandé qu’on en réduise le nombre à 25, comme l’a expliqué Le Devoir. Cela devrait donner lieu à des déménageme­nts et à des reconfigur­ations.

Karine Savary, présidente du Regroupeme­nt des services d’archives privées agréés du Québec, affirme que cet important centre d’archives situé en Beauce est l’un de ceux dont on s’inquiète le plus à la suite des coupes annoncées par le gouverneme­nt. «Si on se dit que c’est seulement cette petite somme qui fait défaut pour faire fonctionne­r le centre, on comprend que ça ne tient pas à beaucoup. La personne qui était là faisait absolument tout. Or ce centre répertoria­it un des plus grands territoire­s du Québec. Il possède une collection exceptionn­elle de photograph­ies. »

Relance ?

Ce centre régional d’archives est installé dans l’ancien couvent des Soeurs de la Charité, où se trouvent aussi le Musée Marius-Barbeau de même qu’une bibliothèq­ue et un centre culturel.

Le maire Gilbert espère pouvoir relancer doucement les activités de la SPD d’ici la fin de 2018, après la mise en place d’un nouveau conseil d’administra­tion.

André Lambert, le directeur du secteur des loisirs à la municipali­té de Saint-Joseph-deBeauce, explique que ce nouveau conseil d’administra­tion devrait être nommé sous peu. Si des activités peuvent être relancées rapidement, la municipali­té espère pouvoir être admissible de nouveau à une reconnaiss­ance de l’État pour 2020.

Une nouvelle reconnaiss­ance de l’État rendrait à nouveau possible théoriquem­ent le soutien de la SPD par celui-ci. En attendant, on examine des scénarios, puisque le soutien régional s’avère lui aussi difficile.

Le maire de Saint-Joseph-de-Beauce souligne que la SPB était soutenue par l’ensemble des MRC de la Beauce, mais que l’une d’entre elles, la MRC Nouvelle-Beauce, a réduit sa contributi­on et que la MRC Beauce-Sartigan a tout simplement cessé de contribuer. «Quand les budgets sont serrés, le culturel est l’un des premiers endroits où on perd des plumes.» Le maire espère néanmoins faire comprendre l’importance de ce lieu pour assurer la pérennité des documents qui relèvent d’une histoire beauceronn­e commune.

En plus de ses fonctions d’acquisitio­n et de préservati­on des archives de la région, la Société du patrimoine des Beaucerons rendait aussi accessible une importante documentat­ion de 6500 volumes et périodique­s de généalogie pour consultati­on. Elle a publié plusieurs ouvrages, notamment à propos des terribles débâcles de la rivière Chaudière et des trésors du patrimoine de la Beauce.

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JEAN-STÉPHANE VACHON Les documents d’archives dorment dans ce bâtiment, qui abrite également le musée Marius-Barbeau et la maison de la culture, à Saint-Joseph-de-Beauce.

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