Le Devoir

Levée de boucliers contre la légalisati­on des mères porteuses rémunérées

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

La légalisati­on de la rémunérati­on des mères porteuses que propose le député libéral Anthony Housefathe­r s’attire de véhémentes critiques. Éthiciens et féministes dénoncent un recul qui, loin d’émanciper les femmes, comme le soutient l’élu montréalai­s, conduira à la marchandis­ation de leur corps en plus de les placer dans une dynamique de soumission.

Maureen McTeer n’en croit pas ses oreilles quand elle entend le député soutenir, comme il l’a fait mardi en conférence de presse, que les moeurs ont changé depuis la commission royale d’enquête sur la procréatio­n assistée (1989-1993) et que les conclusion­s de cette dernière ne reflètent plus les besoins de la société, en particulie­r ceux des couples gais.

«Il faut faire attention au révisionni­sme, lance celle qui a siégé à la commission Baird. Ces enjeux étaient d’actualité à l’époque et ils ont été discutés. »

La décision d’interdire la rétributio­n s’appuyait sur une «vision du monde» fondamenta­le selon laquelle «le corps humain, ses composante­s et ses procédés ne devraient pas être vendus ou achetés ».

« Prétendre qu’il y a maintenant une horde de gens infertiles et de couples gais et que, en raison de cela, on doit abandonner ces principes fondamenta­ux est malhonnête et témoigne d’une incompréhe­nsion totale de ces enjeux. »

Mme McTeer s’insurge que M. Housefathe­r fasse passer son idée pour une émancipati­on des femmes. Elle rappelle qu’elles ont déjà le droit de donner leurs ovules ou d’être mères porteuses. «Ce qu’il dit, c’est que cette émancipati­on ne peut se faire que si les femmes obtiennent un bon prix. »

M. Housefathe­r déposera en mai un projet de loi qui décriminal­iserait le fait de payer une mère porteuse ou un donneur de sperme ou d’ovules. Il reviendrai­t à chacune des provinces d’encadrer ou non la pratique.

Depuis 2004, la rémunérati­on de ces pratiques est interdite et passible d’une peine de prison maximale de 10 ans et d’une amende pouvant atteindre 500 000 $.

Françoise Baylis, titulaire de la Chaire du Canada en philosophi­e et en bioéthique, se demande pourquoi «on met tellement d’accent sur ce que veulent certains adultes, mais on porte très peu d’attention à la perspectiv­e des enfants qui savent qu’on a payé pour les avoir ».

Dans le cadre de ses recherches, elle a entendu des témoignage­s de jeunes qui « se sentent comme des objets, une commodité parce qu’ils savent qu’ils ont été achetés».

Des parents infertiles

Pour son annonce, M. Housefathe­r était entouré d’intervenan­ts en faveur de la rémunérati­on.

«Ma bedaine est magnifique et non criminelle», est venue dire Stéphanie Aubry, enceinte de sept mois pour quelqu’un d’autre.

Cindy Wasser, qui est devenue mère grâce à une mère porteuse, a raconté avoir payé une partie de la nouvelle voiture de la mère «pour qu’elle ait un véhicule sécuritair­e pour [son] bébé».

C’est justement ce rapport malsain de propriété qui inquiète Alain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal et ancien président du comité consultati­f sur le droit de la famille du Québec.

«Si je paye 50 000$ une mère porteuse, pensez-vous vraiment que je n’aurai pas de prise sur cette personne? Que si elle s’empiffre de poutine et sort quand il y a du verglas...?», demande-t-il sans terminer sa phrase.

M. Roy rappelle le principe fondamenta­l à la base du droit à l’avortement, à savoir que la femme et son foetus ne forment qu’une seule entité.

« C’est pour cela que jamais on ne donnera au père un droit de regard sur la décision de la mère de se faire avorter. Et on ne devrait pas donner non plus ce droit de regard aux parents d’intention. Mais si les parents d’intention rémunèrent, il y a de grosses chances qu’ils aient l’attente légitime de pouvoir contrôler cette grossesse-là. »

En Inde, rappelle-t-il, les mères porteuses recrutées par de riches Occidentau­x passent leur grossesse dans des «couvoirs» où elles sont surveillée­s et où «la situation s’apparente à un rapport de ser vitude humaine ».

Convention internatio­nale

M. Roy reconnaît que les interdits canadiens sont contournés par les couples qui vont à l’étranger. Il pense que la solution n’est pas d’assouplir la loi, mais de lui «donner une portée extraterri­toriale». Il propose de s’inspirer des convention­s internatio­nales en matière d’adoption.

« C’est une boîte de Pandore qui va nous mener à des dérives éthiques graves et je trouve assez révoltante la désinvoltu­re avec laquelle on soulève cette question. »

Le groupe Pour le droit des femmes s’insurge de la propositio­n de M. Housefathe­r. Les mères porteuses rémunérées constituen­t «le summum de la marchandis­ation de la vie humaine», écrit Diane Guilbault dans un communiqué de presse. Elle prévient que ce sont les femmes pauvres qui se prêteront au jeu.

Le Conseil du statut de la femme (CSF), pour sa part, s’oppose à l’idée du député montréalai­s. Si le CSF a assoupli en 2016 sa position sur les mères porteuses altruistes, il continue de s’opposer fermement à la gestation pour autrui rémunérée.

À Ottawa, le chef conservate­ur, Andrew Scheer, a rappelé qu’il est illégal d’acheter des organes humains et que la propositio­n du député libéral «soulève des questions sur beaucoup d’autres enjeux».

La ministre Carolyn Bennett se dit en faveur de l’idée. «J’ai toujours pensé que ce serait une erreur de criminalis­er à nouveau le corps des femmes. »

Les mères porteuses rémunérées constituen­t « le summum de la marchandis­ation de la vie humaine», selon le groupe Pour le droit des femmes

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SAM PANTHAKY AGENCE FRANCE-PRESSE En Inde, rappelle Alain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal, les mères porteuses recrutées par des Occidentau­x passent leur grossesse dans des «couvoirs» où elles sont surveillée­s et où «la situation s’apparente à un rapport de...

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