Le Devoir

Le modèle commercial

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Les dépenses tous azimuts annoncées mardi par Carlos Leitão répondent sans doute à des besoins bien réels, mais il est difficile de trouver un fil conducteur, si ce n’est le souci de plaire à tout le monde à six mois de l’élection.

La hausse des dépenses en éducation et en santé est certaineme­nt la bienvenue, mais les réseaux sont dans un état tel qu’elle s’apparente davantage à une opération de sauvetage qu’à une profession de foi dans les vertus de l’État providence. Quant aux investisse­ments projetés dans les transports en commun, on y verrait davantage une vision d’avenir si les sommes destinées aux infrastruc­tures routières n’étaient pas deux fois plus élevées.

La mesure la plus révélatric­e de la pensée libérale est sans doute la nouvelle augmentati­on du crédit d’impôt dont bénéficien­t les parents qui confient leurs enfants à une garderie non subvention­née, qui détourne une part croissante de la clientèle des centres de la petite enfance (CPE).

L’addition de ce crédit d’impôt et de la déduction fédérale pour frais de garde permettra à un couple dont le revenu totalise 50 000$ d’épargner 0,84$ par jour en confiant son enfant de quatre ans à une garderie non subvention­née plutôt qu’à un CPE. Si le revenu est de 150 000 $, l’économie sera de 0,48 $ par jour.

Invoquant encore une fois le principe du libre choix, le PLQ s’est opposé à la création des CPE presque aussi énergiquem­ent qu’il avait combattu, vingt ans plus tôt, cette autre création du PQ qu’est la loi 101. Il s’est résigné à leur présence après avoir constaté que la population y était fortement attachée, mais il n’a manqué aucune occasion d’en limiter l’expansion. Le gouverneme­nt Couillard poursuit simplement dans la voie tracée par ses prédécesse­urs.

La hausse du crédit d’impôt pour frais de garde est l’une des rares mesures du budget Leitão auxquelles François Legault a applaudi. Le «modèle d’affaires» des garderies non subvention­nées a toujours eu la faveur de la CAQ. «C’est vraiment une forme d’entreprene­uriat que, nous, on souhaite soutenir», avait déclaré d’entrée de jeu sa porte-parole en matière de famille, Geneviève Guilbault.

«Nous, ce qu’on croit, c’est qu’il faut investir d’abord dans les enfants, dans les services aux enfants, et non dans le béton ou dans les infrastruc­tures», avait-elle dit. Une phrase qui aurait tout aussi bien pu sortir de la bouche du ministre de la Famille, Luc Fortin. Le dossier des garderies est peut-être la meilleure illustrati­on de l’aversion commune que libéraux et caquistes éprouvent envers ce qu’on appelle communémen­t le « modèle québécois », auquel ils préfèrent d’emblée un modèle plus commercial.

Si le bien-être des enfants doit être le premier critère, comme le prétend Mme Guilbault et comme le dirait sûrement M. Fortin, les études menées au cours des dernières années démontrent que les services offerts dans les CPE sont nettement meilleurs.

Le PLQ et la CAQ partagent une même vision en matière de ser vices de garde

L’ancien député péquiste de Vachon Camil Bouchard, qui a repris du service à titre de conseiller de Jean-François Lisée en matière de famille et de petite enfance, plaide pour la gratuité complète dans les CPE et le retrait progressif des permis qui ont été octroyés aux garderies privées. Cela rejoint le programme de Québec solidaire, qui préconise «le droit fondamenta­l à des services à la petite enfance universels gratuits», de même qu’«une offre et une gestion non commercial­e des services, développés en réseau public ou d’économie sociale ».

Le PQ ne va pas aussi loin. Il propose plutôt de « revenir à un tarif unique en CPE [au niveau minimum actuel de 8,05$ par jour] et [de] l’ajuster pour faire disparaîtr­e l’avantage tarifaire des garderies commercial­es». Il n’est pas question d’annuler leurs permis, mais d’en « geler le développem­ent ».

On a dit que la création des CPE avait fait du Québec le «paradis des familles». Il faudrait peut-être jeter un coup d’oeil du côté de l’Ontario, où la première ministre libérale, Kathleen Wynne, a annoncé mardi un vaste programme de 2,2 milliards visant à offrir des services de garde entièremen­t gratuits à 125 000 enfants de deux ans et demi jusqu’à ce qu’ils soient admissible­s à la maternelle, également gratuite, à l’âge de quatre ans.

Certes, la comparaiso­n a ses limites. Il y a une grande différence entre les CPE et les diverses formes de services de garde autorisés en Ontario. La période non couverte entre la fin du congé parental et l’âge de deux ans et demi pose également un problème. Il faudrait aussi d’abord que le gouverneme­nt Wynne soit réélu le 7 juin, ce qui paraît présenteme­nt très improbable. Même si c’est partie remise, le modèle commercial en voie de s’implanter au Québec pourrait bien être éventuelle­ment supplanté par un nouveau modèle ontarien.

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