Poutine rattrapé
Fraîchement réélu au nom de la «Russie forte» qu’il promeut et incarne avec ostentation, le président Vladimir Poutine est rattrapé par un mouvement de colère collectif, allumé par l’incendie qui a fait dimanche soir 64 morts, dont des dizaines d’enfants, dans un centre commercial de la ville industrielle et sibérienne de Kemerovo.
En réaction, M. Poutine a certes évoqué des «négligences criminelles». Pour un grand nombre de Russes, il aura surtout refusé de prendre acte de l’envergure du problème: à savoir qu’à l’origine de cette catastrophe se perpétue un système économique et étatique miné à grande échelle par la corruption.
En lieu et place, il n’a trouvé rien d’autre à faire, mercredi, que de dénoncer les réseaux sociaux qui «sèment la méfiance […], y compris de l’étranger»… S’agissant d’entretenir partout et tout le temps la propagande voulant que la Russie soit une forteresse assiégée par des Occidentaux russophobes, M. Poutine est un homme qui a de la suite dans les idées.
On comprend que tout cela soit vexatoire pour Moscou: c’est une tragédie intérieure qui vient contrecarrer une stratégie de communication qui faisait ses choux gras de l’« affaire Skripal» et de l’expulsion par 23 pays de diplomates russes.
Il y aura enquête et des boucs émissaires seront dûment punis, bien entendu. Il le faut bien: les premiers constats des enquêteurs ont immédiatement montré de nombreuses « violations flagrantes » des normes de sécurité au centre commercial : matériaux de construction inflammables, issues de secours bloquées, système d’alarme en panne, système anti-incendie défectueux. Les propriétaires du centre avaient pu l’ouvrir en 2013 malgré la constatation de nombreuses lacunes. Autant de lacunes que des dessous-de-table auront permis de faire oublier aux autorités, malgré toute la panoplie de lois strictes dont s’est dotée la Russie en matière de sécurité.
C’est qu’il y a eu de nombreux précédents au drame de Kemerovo au cours des dernières années, avec soupçons lourds de corruption à la clé. Si donc M. Poutine juge qu’il est dans son intérêt de fermer les yeux sur cet enjeu aux dimensions systémiques, des dizaines de milliers de Russes sont descendus dans les rues de plusieurs villes du pays depuis trois jours, y compris à Moscou et à Saint-Pétersbourg, pour faire savoir qu’ils ne sont pas dupes. Preuve, si besoin était, que le mécontentement et la défiance sont des sentiments répandus en Russie, fussent-ils assourdis par les injonctions unanimistes de M. Poutine.