Le Devoir

La connaissan­ce n’est ni blanche ni autochtone, mais universell­e

- DANIEL BARIL Anthropolo­gue et auteur

Dans Le Devoir du 26 mars dernier, un groupe de professeur­s en droit civil de l’Université d’Ottawa s’en prenait à la démarche du gouverneme­nt du Québec visant à ce que l’obligation de prendre en considérat­ion le «savoir autochtone » dans les évaluation­s environnem­entales soit balisée par « des barèmes clairs et comparable­s aux données scientifiq­ues». Ces universita­ires se disent étonnés que l’on puisse craindre des contradict­ions entre les «savoirs traditionn­els» d’une part et «la science et les données probantes» d’autre part.

Il n’existe aucune définition universell­ement reconnue de ce qu’est le «savoir autochtone», mais toutes les définition­s existantes incluent la spirituali­té, les croyances religieuse­s ou ce qui est tenu pour « vrai ». Le groupe de professeur­s précise d’ailleurs que ce savoir inclut la cosmogonie. Le «savoir autochtone», c’est donc tout autant les connaissan­ces empiriques que les croyances surnaturel­les.

Or, savoir et croyances sont deux choses totalement différente­s. Un savoir ou une connaissan­ce entraîne l’adhésion universell­e des gens raisonnabl­es capables de discerneme­nt par la raison. Les universita­ires tentent de nier cet aspect en affirmant que «la science est un domaine où les opinions et les interpréta­tions sont loin d’être unanimes». Pourtant, c’est de connaissan­ces et de données qu’il est question, et non d’opinion sur celles-ci. Ils ajoutent que le «savoir autochtone» apporte une «plus grande richesse de points de vue». Ils mélangent donc allègremen­t savoir, opinions et points de vue. Faisant preuve d’un relativism­e postmodern­iste tout aussi extrémiste que navrant, ils soutiennen­t que «subordonne­r la prise en compte des savoirs traditionn­els à leur compatibil­ité avec les données scientifiq­ues revient à établir une hiérarchie entre les savoirs». Autrement dit, croyances et science se valent.

Si un savoir est complément­aire à la science, c’est que ce savoir a fait l’objet d’une observatio­n ou d’une démonstrat­ion raisonnée et est de ce fait de nature scientifiq­ue, comme dans l’exemple du traitement du scorbut mentionné dans l’article. Dans ce cas, le concept nébuleux n’ajoute rien. La connaissan­ce n’est ni blanche, ni noire, ni chinoise, ni autochtone; elle est universell­e. Si, par contre, le «savoir autochtone» s’oppose à la science, c’est qu’il est du domaine de la croyance. Dans ce cas, il faut baliser ce concept comme le demande le Québec.

L’Esprit de l’Ours et la chimiothér­apie

Voici deux cas qui montrent l’importance de faire preuve de discerneme­nt en pareilles circonstan­ces. Un projet conjoint entre une entreprise privée et le gouverneme­nt de la Colombie-Britanniqu­e visant la constructi­on d’une station de ski dans les Rocheuses a été bloqué jusqu’à tout récemment par la nation Ktunaxa. La raison invoquée: la montagne convoitée est un lieu sacré qui abrite l’Esprit de l’Ours Grizzly. Perturber ce territoire ferait fuir l’Esprit de l’Ours, ce qui porterait atteinte aux croyances et pratiques religieuse­s des Ktunaxas.

Les Ktunaxas ont prétendu que cette croyance constituai­t un savoir secret connu de quelques «gardiens du savoir» seulement. La cause s’est rendue jusqu’en Cour suprême, qui a statué que la loi protégeait la liberté de croire à l’Esprit de l’Ours Grizzly mais que la position des Ktunaxas conduisait à exiger la protection de l’Esprit lui-même, et non la croyance en son existence. Deux juges sur neuf ont toutefois donné raison à l’argument des Ktunaxas.

Mon second exemple est plus tragique. En novembre 2014, un juge autochtone de la Cour de l’Ontario a reconnu, à des parents de la communauté autochtone New Credit, le droit de refuser les traitement­s de chimiothér­apie pour traiter la leucémie de leur fille de 11 ans et de s’en remettre uniquement à leur médecine fondée sur le savoir traditionn­el. Cela au nom de leurs droits ancestraux. La jeune fille, à qui la médecine donnait 75% de chances de guérison avec la chimiothér­apie, est décédée deux mois après le jugement.

Le « savoir autochtone » peut donc être utilisé à n’importe quelle fin. Dans le contexte des évaluation­s environnem­entales, on ne sait à quelle nouvelle dérive ce concept pourrait conduire s’il n’était pas balisé.

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SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE Il n’existe aucune définition universell­ement reconnue de ce qu’est le « savoir autochtone », mais toutes les définition­s existantes incluent la spirituali­té, les croyances religieuse­s ou ce qui est tenu pour «vrai».

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