Le Devoir

Les travaux semés d’embûches de l’Instance Vérité et Dignité

La commission devant rendre justice aux victimes de la dictature a été désavouée par le Parlement

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Tunis — L’Instance Vérité et Dignité (IVD), instaurée en 2014 pour rendre justice aux victimes de la dictature en Tunisie, a indiqué mercredi qu’elle continuera­it sa mission, en dépit d’un désaveu du Parlement.

«Nous allons continuer notre travail tant que nous n’avons pas reçu de document officiel qui nous ordonne de continuer ou pas» notre tâche, a déclaré la présidente de l’IVD, Sihem Bensedrine. «Nous estimons que la décision de prolongati­on revient par la loi à l’instance» elle-même.

Des députés du parti au pouvoir ont voté tard lundi contre la prolongati­on d’un an du mandat de l’IVD, née de la transition démocratiq­ue en Tunisie pour solder les comptes de la dictature.

Depuis, la confusion règne sur la capacité de cette instance de justice transition­nelle, créée avec un mandat de quatre ans renouvelab­le un an, à poursuivre ses travaux après le 31 mai.

Cette commission a pour mission de «dévoiler la vérité sur les violations des droits de la personne commises entre le 1er juillet 1955 et le 31 décembre 2013», c’est-à-dire sous Habib Bourguiba (1957-1987), sous son successeur Zine el-Abidine Ben Ali (1987-2011) et pendant les troubles postrévolu­tionnaires.

En février, l’IVD avait décidé d’elle-même de prolonger son mandat jusqu’au 31 décembre 2018, arguant du manque de coopératio­n de l’État.

Ces dernières années, des institutio­ns comme le ministère de l’Intérieur ou l’armée ont rechigné à collaborer avec ce processus qui doit permettre aux victimes d’être reconnues, voire indemnisée­s, tout en évitant des purges.

Mercredi, Mme Bensedrine a menacé de «poursuivre les personnes qui ne coopèrent pas». Après deux convocatio­ns sans suite, l’IVD lancera « des poursuites judiciaire­s contre les personnes qui refusent de donner leur témoignage, en vertu de la loi», a-t-elle déclaré devant la presse.

L’ancien président Moncef Marzouki a accusé ceux qui veulent «en finir avec l’IVD» d’avoir «un seul objectif: c’est de liquider la révolution et de liquider tous ses acquis». «Le peuple tunisien n’acceptera jamais le retour de l’ancien régime tel qu’ils veulent le remettre en selle », a-t-il assuré.

Plusieurs organisati­ons se sont inquiétées des conséquenc­es des polémiques actuelles sur la transition démocratiq­ue. L’IVD, qui est «au coeur de la transition démocratiq­ue», est également chargée de préconiser des mesures pour «garantir la non-répétition de la torture, de la dictature, des violations des droits de la personne» a souligné la politologu­e Nessryne Jelalia, de l’associatio­n Al Bawsala.

Le Centre internatio­nal pour la justice transition­nelle (ICTJ) a rappelé que l’IVD « est la seule commission de vérité à avoir émergé des printemps arabes ». Son mandat couvrant violations des droits de la personne, mais aussi corruption et marginalis­ation, «est compliqué et nécessite plus de temps» selon ICTJ.

Pour la Fondation Carter, «la Tunisie pourrait avoir laissé passer l’occasion d’une véritable justice transition­nelle. L’IVD a perdu beaucoup de son aura avec les critiques des médias, les controvers­es internes, l’impression de politisati­on et le désintérêt de l’opinion public».

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FETHI BELAID AGENCE FRANCE-PRESSE La présidente de l’IVD, Sihem Bensedrine

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