Le beau défi de Philippe S.
Avec la présentation de L’incroyable légèreté de Luc L., c’est dix ans de création qui trouvent leur aboutissement
LES TROIS EXILS DE CHRISTIAN E. LE LONG VOYAGE DE PIERRE-GUY B. L’INCROYABLE LÉGÈRETÉ DE LUC L.
Texte: Philipe Soldevila, Christian Essiambre, Pierre Guy Blanchard et Luc LeBlanc. Mise en scène : Philippe Soldevila. Avec Christian Essiambre, Pierre Guy Blanchard et Luc LeBlanc. Production : théâtres Sortie de Secours et l’Escaouette. Le dernier volet joue jusqu’au 31 mars.
Avec la présentation de L’incroyable légèreté de Luc L., c’est dix ans de création qui trouvent leur aboutissement. En 2008, le metteur en scène Philippe Soldevila et le comédien Christian Essiambre planchaient déjà sur Les trois exils de Christian E., créée trois ans plus tard. Ce fut par la suite au tour du musicien Pierre Guy Blanchard de se joindre à l’équipe. En 2015, Le long voyage de Pierre-Guy B. voyait le jour. La présentation du dernier volet de ce «triptyque de fiction biographique» aura été l’occasion pour les quatre créateurs de donner à voir l’entièreté du portrait, remarquable plongée dans la vie de trois artistes acadiens.
Dans le premier tiers, on découvre un comédien extrêmement polyvalent, et énergique. Chistian Essiambre livre une performance de feu, interprétant les nombreux personnages d’un récit fort bien mené, inspiré de sa propre jeunesse. Le récit allie humour et considérations plus sérieuses, en même temps que la question initiale du projet — Comment, avec une seule personne en scène et sans verser dans le conte, faire advenir le récit? — trouve une réponse fort concluante.
La barre est haute pour la venue de Pierre Guy B., qui, son tour venu, partage cette fois la scène avec son prédécesseur. Sa présence est plus réservée, moins explosive… jusqu’à ce qu’elle explose, justement. De façon plus timide et aux antipodes de son prédécesseur, le musicien globetrotteur finit par imposer une personnalité irrésistible et sauvage, d’une grande authenticité, en même temps qu’il introduit dans le triptyque une précieuse dimension musicale et sonore.
Le troisième temps sera celui du comédien et animateur Luc LeBlanc, sur scène avec ses deux comparses — les trois hommes se sont connus sur l’île du pays de la Sagouine, où ils ont développé leur métier. Si ce dernier segment participe bien de l’ensemble, il nous offre une aventure qui demeure cependant moins engageante. Là où les deux précédents chapitres ménageaient dans la trame du récit un espace lumineux d’intériorité, on sentira ici qu’on n’est pas entrés tout à fait; le mystère de son «incroyable légèreté », au final, reste entier.
Rien toutefois pour entamer la qualité de l’ensemble et le sentiment d’une réussite formelle. Les créateurs s’étaient donné le défi d’occuper la scène de façon convaincante, ce qu’ils font à l’aide de récits apparemment simples mais fort travaillés, en exploitant les talents de chaque comédien et en échafaudant une façon de raconter toute propre, faite de transitions vives et de mouvement, d’images, de racoins et de souvenirs juxtaposés qui finissent par créer un espace dans lequel les interprètes se déplacent avec une grande liberté.
Dans ce récit qui, sur le fond autant que sur la forme, présentera de nombreuses résonances avec le Trois de Mani Soleymanlou, on retiendra finalement la sensibilité déployée, dans une quête de vérité toute individuelle mais pleine d’échos, et réjouissante.
Ce portrait est une remarquable plongée dans la vie de trois artistes acadiens