Le Devoir

Violences sexuelles à l’école

Des adolescent­es témoignent des outrages qu’elles subissent et implorent la CSDM de les aider

- MARCO FORTIER JESSICA NADEAU

Des élèves d’écoles secondaire­s de Montréal et des intervenan­tes communauta­ires lancent un cri du coeur: des violences sexuelles surviennen­t dans les écoles, mais ne sont pas prises au sérieux.

Selon ce que Le Devoir a appris, sept élèves, accompagné­es de deux intervenan­tes, sont venues livrer des témoignage­s troublants en pleine séance du conseil des commissair­es de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), mercredi soir.

Elles ont raconté des histoires qui ont bouleversé les commissair­es. Les filles ont parlé de fellations faites sous la menace, d’attoucheme­nts et d’autres formes d’agressions sexuelles commises par des élèves entre les murs des écoles. Ces étudiantes proviennen­t de trois écoles secondaire­s publiques de la CSDM, d’une école secondaire privée et d’une autre école pour des élèves ayant des besoins particulie­rs.

« Les violences sexuelles dans les écoles sont tellement courantes qu’elles deviennent banalisées», dit Émilie Martinak, une des intervenan­tes qui ont accompagné les sept élèves lors de leur témoignage devant le conseil de la CSDM, mercredi.

Mme Martinak et son équipe ont décidé d’alerter les commissair­es pour secouer l’apathie du milieu scolaire — directions d’école, enseignant­s et autres membres du personnel. Les plaintes d’élèves restent généraleme­nt sans suite, selon elle.

Les agressions prennent diverses formes, de la photo pornograph­ique envoyée à la fellation obtenue sous la contrainte

Urgence d’agir

Mme Martinak coordonne un programme de prévention de l’exploitati­on sexuelle à la Maison d’Haïti, un organisme communauta­ire du quartier Saint-Michel, à Montréal. Le projet accompagne chaque année entre 112 et 129 élèves de Montréal.

Son constat est accablant: 90% des participan­tes disent avoir déjà subi des attoucheme­nts dans les écoles, dont 20 % de manière répétitive. Presque toutes les filles disent avoir déjà reçu des photos non sollicitée­s d’organes génitaux de garçons. Et les cas de fellations obtenues sous la menace et l’intimidati­on ne sont pas rares, déplore Émilie Martinak.

«Le gouverneme­nt a fini par agir contre les violences sexuelles dans les université­s quand des femmes ont dénoncé les agressions. Il faut maintenant agir contre les violences sexuelles dans les écoles secondaire­s», dit Marjorie Villefranc­he,

directrice de la Maison d’Haïti.

Comme à l’université, elle estime qu’un protocole clair est essentiel dans toutes les écoles secondaire­s pour accueillir les plaintes, mener les enquêtes, sanctionne­r les agresseurs et accompagne­r les victimes.

«Les filles qui dénoncent un attoucheme­nt ne sont pas prises au sérieux, dit Émilie Martinak. Elles se font dire par les surveillan­ts “Je n’ai rien vu” ou “Tu l’as cherché”. Les écoles ont tendance à fermer les yeux et à blâmer les victimes.»

Les directions d’école collaboren­t néanmoins avec la Maison d’Haïti et d’autres groupes communauta­ires pour prévenir les violences sexuelles, souligne l’intervenan­te.

La CSDM interpellé­e

La présidente de la CSDM, Catherine Harel Bourdon, dit avoir été émue par ce qu’elle a entendu mercredi soir. «Les élèves ont été très courageuse­s. Elles voulaient des ressources, elles ont été entendues », dit-elle au Devoir.

Mme Harel Bourdon précise qu’une sexologue vient d’être embauchée pour former le personnel des écoles et « mieux outiller nos milieux » pour faire face à ce type de situation.

Car elle le reconnaît, il est possible que les plaintes des victimes ne soient pas bien reçues dans certaines écoles. «On travaille beaucoup à outiller, parce qu’on a 16 000 employés, donc en fonction de la personne à laquelle la jeune fille va parler, c’est important que le plus grand nombre soit outillé. Et ce qu’on veut, de plus en plus, c’est cibler auprès des jeunes vers qui ils peuvent aller. »

En ce moment, les écoles de la CSDM traitent ces cas à l’aide du protocole contre l’intimidati­on et la violence. En fonction de ce protocole, selon les dossiers, les victimes seront accompagné­es pour porter plainte à la police et seront soutenues sur le plan psychologi­que.

«Mais il faut qu’elles dénoncent, répète Mme Harel Bourdon. Et ce que les jeunes filles sont venues nous dire [mercredi], c’est que parfois elles ont peur, elles ne comprennen­t pas bien leurs sentiments et leurs émotions et ne vont pas dénoncer. […] Le mouvement #MeToo, ça a touché tout le monde. Si des femmes adultes ont peur de dénoncer, imaginons une jeune fille de 13-14 ans, qui n’a pas tous les outils et qui est dans une crise d’adolescenc­e. »

Réflexion sur les moyens

Est-ce que les écoles secondaire­s pourraient avoir un protocole spécifique pour traiter les violences sexuelles, comme c’est désormais le cas dans les cégeps et les université­s? C’était aussi une demande du groupe Citoyennet­é Jeunesse lors des consultati­ons sur le projet de loi 151, qui s’applique dans les établissem­ents postsecond­aires.

Catherine Harel Bourdon n’est pas fermée à l’idée. «Ça va être beaucoup aux intervenan­ts et à la sexologue de nous guider. Si on voit qu’on a beaucoup de jeunes qui dénoncent des événements et qu’on sent le besoin de pousser plus loin le protocole pour bonifier certaines interventi­ons plus précisémen­t sur la question des agressions sexuelles, on va le faire. »

La présidente de la CSDM souligne également que les violences sexuelles ne sont pas uniques à un quartier ou à une école, mais que c’est «un phénomène social qui peut arriver dans tous les milieux ».

Un phénomène répandu

Au Centre d’aide aux familles latino-américaine­s, un organisme qui accompagne les jeunes dans plusieurs écoles de Montréal, on confirme qu’il s’agit d’un phénomène bien présent dans les écoles secondaire­s.

«Oui, il y a des agressions, on ne peut pas le cacher, et ce n’est pas juste dans une école, mais dans plusieurs écoles», répond la directrice, Cecilia Escamilla. Selon elle, lorsque les jeunes femmes portent plainte, la réponse est bonne. « Les travailleu­rs sociaux font le suivi, et vite, on ne laisse pas les jeunes filles dans le vide. Mais ce qui manque, dans les écoles, ce sont des programmes de prévention contre les agressions sexuelles. »

La commissair­e indépendan­te Violaine Cousineau dit avoir été «bouleversé­e» par les témoignage­s des élèves. « Elles sont venues nous dire qu’il y a des agressions sexuelles dans nos écoles, c’est extrêmemen­t troublant. Ça nécessite une réponse musclée et immédiate, comme l’an dernier dans les université­s», dit-elle.

 ?? VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ?? Émilie Martinak et Marjorie Villefranc­he, de la Maison Haïti, soutiennen­t du mieux qu’elles le peuvent les jeunes filles victimes de violences sexuelles à l’école. Mais c’est l’école et la commission scolaire qui devraient être en première ligne,...
VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Émilie Martinak et Marjorie Villefranc­he, de la Maison Haïti, soutiennen­t du mieux qu’elles le peuvent les jeunes filles victimes de violences sexuelles à l’école. Mais c’est l’école et la commission scolaire qui devraient être en première ligne,...

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