Le Devoir

Des chercheurs séduits par le climat politique au Canada

Les université­s recrutent une vingtaine de sommités mondiales grâce à de généreuses chaires de recherche

- PAULINE GRAVEL

Le Canada a réussi à recruter 24 sommités mondiales en recherche scientifiq­ue grâce à de généreuses chaires de recherche. Plusieurs récipienda­ires de ces chaires de recherche Canada 150 ont accepté d’abandonner des emplois fort enviables dans des université­s prestigieu­ses en raison du climat social et politique délétère du pays où ils travaillai­ent. D’autres, des Canadiens expatriés, profitent de la manne pour rentrer au pays.

Dans le but d’attirer des chercheurs de haut niveau, le gouverneme­nt du Canada avait prévu dans son budget 2017 un investisse­ment de 117,6 millions de dollars pour un programme de chaires de recherche dénommées Canada 150 en l’honneur du 150e anniversai­re du Canada.

Dix de ces vingt-quatre chaires fourniront un financemen­t d’un million de dollars annuelleme­nt pendant sept ans et quatorze accorderon­t 350 000$ annuelleme­nt pendant sept ans.

Alán Aspuru-Guzik, une sommité mondiale dans le domaine de la chimie théorique, quantique et computatio­nnelle, quittera l’Université Harvard en juillet prochain pour l’Université de Toronto. Et il le fera sans regret et avec beaucoup d’enthousias­me.

«Pendant longtemps, je n’étais pas satisfait de la façon dont les États-Unis se comportaie­nt politiquem­ent. Leur manque de civilité et de politesse m’indisposai­t et plusieurs aspects de la société me rebutaient. L’élection de Trump a catalysé ma décision de partir ailleurs. Je voulais aller là où je me sentirais bien dans la société, et ce fut le Canada. À cela s’ajoute bien sûr le fait qu’on m’y propose une excellente occasion scientifiq­ue.

«Un autre enjeu est l’incertitud­e quant au financemen­t de la recherche scientifiq­ue étant donné que le gouverneme­nt américain a augmenté le budget voué aux dépenses militaires plus que tous les autres. Le Canada est plus rafraîchis­sant et inspirant!» a-t-il confié au Devoir.

M. Aspuru-Guzik est très satisfait des conditions qui lui seront accordées à l’Université de Toronto. Il recevra un million par année pendant sept ans, ce qui est « comparable » à ce dont il dispose à Harvard.

Incertitud­e politique

Yves Brun, originaire du Nouveau-Brunswick, a effectué son doctorat à l’Université Laval et un stage postdoctor­al à l’Université Stanford avant d’être embauché par l’Université de l’Indiana en 1993. Il désirait revenir au pays depuis un certain temps. L’élection du président Trump n’est pas la raison principale de son retour au Canada, mais «un des facteurs».

«Pour l’instant, l’arrivée de Trump a eu peu de répercussi­ons négatives sur le financemen­t de la recherche fondamenta­le. Mais il y a quand même beaucoup d’incertitud­es. Par contre, le climat sociopolit­ique est très négatif et tout cela m’affectait. C’était donc tentant de venir dans un pays plus ouvert et qui vient de réinvestir dans la recherche fondamenta­le», a-t-il affirmé.

Alors qu’il bénéficiai­t de 750 000$ par année à l’Université de l’Indiana, M. Brun verra ses ressources financière­s doubler à l’Université de Montréal grâce au million de la chaire de recherche Canada 150 ainsi qu’aux programmes sociaux en vigueur au pays — qui couvrent notamment les frais médicaux —, qui réduiront ainsi les coûts associés à l’embauche du personnel de recherche.

Cette chaire lui permettra de «suivre son instinct et d’aller dans des directions qui normalemen­t seraient subvention­nées moins facilement ».

« En recherche fondamenta­le, on ne sait jamais quel projet nous conduira à une découverte importante. De plus, je pourrai me consacrer à des projets de longue haleine sans avoir à préparer sans cesse de nouvelles demandes de subvention qui grugent beaucoup de temps.

«Avec cette chaire de recherche d’une durée de sept ans, j’ai maintenant les moyens de voir grand et loin!» lance ce spécialist­e des bactéries qui travailler­a à la mise au point d’antibiotiq­ues et de bioadhésif­s.

Ouverture des frontières

Pour l’Autrichien Josef Penninger, qui mène des travaux en génétique dans l’espoir de découvrir les mécanismes de la pathogenès­e des maladies, ce sera un retour au Canada, puisqu’il a fait des recherches à Toronto de 1990 à 2004.

Les conditions offertes par la chaire de recherche Canada 150 (un million annuelleme­nt) sont un peu moins généreuses que celles dont il jouit en ce moment à l’Académie autrichien­ne des sciences, mais l’Université de la Colombie-Britanniqu­e (UBC) ajoutera une contributi­on qui devrait les rendre comparable­s.

Pour cet Européen qui adhère à «l’ouverture des frontières» et qui «aime les sociétés culturelle­s et les endroits où les gens d’ailleurs sont les bienvenus», le Canada est un pays où ces valeurs sont très présentes, alors qu’en Europe, l’atmosphère est tout autre depuis l’afflux de migrants. Il croit que «la politique canadienne va dans la bonne direction et est propice à l’innovation ».

Engagement du Canada

Azim Sharif quittera l’Université de la Californie à Irvine pour l’UBC, où il poursuivra ses recherches en psychologi­e morale. Il est content de rentrer au pays où il a grandi et fait ses études, mais son retour est aussi motivé par le programme de chaires de recherche qui, à ses yeux, démontre «l’engagement du Canada envers la science, la recherche et l’éducation publique», des valeurs qui lui tiennent à coeur.

Dix de ces 24 chaires fourniront un financemen­t d’un million de dollars annuelleme­nt pendant 7 ans

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