Entre exaspération et refus de céder à l’inquiétude
En France, la minorité juive, qui représente moins de 1 % de la population, est la cible d’un tiers des faits de haine recensés
«Il y a une exaspération »: au lendemain de la marche blanche en hommage à une octogénaire juive tuée en plein Paris, des Français juifs se demandent «qui sera» la prochaine victime de l’antisémitisme, même si beaucoup ne veulent pas céder à l’inquiétude.
Depuis le meurtre de Mireille Knoll, 85 ans, «on se demande tous qui sera le prochain, on regarde autour de nous, on est plus vigilants», confie à l’AFP Aurélie Sitbon, 29 ans.
Deux hommes, dont un voisin familier de Mme Knoll, ont été inculpés et écroués mardi pour «homicide volontaire» à caractère antisémite après la découverte vendredi du corps de la vieille dame, frappé de 11 coups de couteau et en partie carbonisé, dans son appartement incendié à Paris.
Un dirigeant de la première communauté juive d’Europe témoigne d’un sentiment d’« exaspération». «Il y a une forte inquiétude due au fait que malgré les efforts des responsables politiques, les choses empirent: pas tant du point de vue statistique, mais dans la violence des actes commis, comme le cas de Mme Knoll en est le triste exemple», explique Ariel Goldmann, président du Fonds social juif unifié.
De fait, si les actes antisémites ont été pointés en repli en 2017 (-7%) pour la troisième année de suite, cette baisse globale cache mal l’augmentation des faits les plus graves (+26% des violences, incendies, dégradations, tentatives d’homicide…). La minorité juive, qui représente moins de 1% de la population, est la cible d’un tiers des faits de haine recensés.
Depuis 2006, « onze juifs ont été assassinés parce que juifs», souligne l’historien Marc Knobel.
«C’est un antisémitisme qui s’explique par la jalousie, des frustrations, la montée des préjugés et l’image que certains peuvent avoir du conflit israélopalestinien», analyse-t-il, évoquant une haine due aussi «à l’islamisme, au djihadisme ».
Hostilité diffuse et préjugés
Catherine, 51 ans, est dévorée par «l’angoisse» au point de ne «plus dormir la nuit». Cette mère de cinq enfants, qui vit dans un logement social dans le XIXe arrondissement de Paris, dit se heurter à une «hostilité» diffuse de la part de voisins musulmans.
Récemment, l’appartement familial a été cambriolé, et cette auxiliaire de puériculture ne peut s’empêcher de se demander: «Est-ce parce que, comme on est juifs, on est censés avoir de l’argent ? »
Dans l’enquête sur la mort de Mireille Knoll, qui vivait pourtant modestement dans un logement social, les policiers privilégient la piste d’un vol ayant viré au meurtre, qui reste entouré de zones d’ombre.
«Ce qui était terrible, c’est que l’un des auteurs disait à l’autre: “C’est une juive, elle doit avoir de l’argent”», a commenté le ministre français de l’Intérieur, Gérard Collomb. Dans son dernier rapport, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) notait une «persistance des préjugés antisémites traditionnels liant les juifs à l’argent, au pouvoir et leur reprochant leur communautarisme».
En cette veille de Pessah, la Pâque juive, Akiva, 19 ans, qui étudie en Israël mais est rentré chez ses parents pour les fêtes, se dit «horrifié de ce qui s’est passé», mais se sent «en sécurité en France». Et Raphaël d’abonder: «C’est un beau pays, la France, et je me sens avant tout Français. »