Le Devoir

J’suis pas raciste, mais…

- FABRICE VIL

Le 29 janvier 2017, Alexandre Bissonnett­e s’est rendu, armé, dans une mosquée de Québec. Il a déchargé son arme sur des individus de confession musulmane qui y priaient, tuant six personnes. Mercredi, M. Bissonnett­e a plaidé coupable à six chefs d’accusation de meurtre au premier degré et à six autres chefs de tentative de meurtre.

M. Bissonnett­e, selon un ancien camarade d’université, s’est déjà dit «hostile aux non-Blancs et aux non-chrétiens immigrants». Les mandats de perquisiti­on rendus publics mercredi révèlent qu’il était «en accord avec les propos de Donald Trump à l’effet de bloquer toute immigratio­n». Après avoir plaidé coupable, il a toutefois affirmé ne pas être islamophob­e. Par cette affirmatio­n, M. Bissonnett­e a symbolisé l’un des grands dilemmes du racisme: les personnes qui le perpétuent se convainque­nt souvent du contraire.

Connaissez-vous la technique «J’suis pas raciste, mais…»? Les comédiens de l’émission Like-moi à Télé-Québec l’ont brillammen­t exposée dans un sketch hilarant par son absurdité et son fond de vérité: «T’as juste à dire “mais” après “j’suis pas raciste”, pis ensuite tu peux être super raciste. » Pourquoi ? Parce que, selon Like-moi, «tu peux pas être raciste si tu viens de dire que t’es pas raciste». Cette technique permet à quiconque en fait l’utilisatio­n de se prémunir de tout reproche de racisme… même dans les cas les plus évidents.

Ne peut-on pas déduire qu’Alexandre Bissonnett­e a assassiné des musulmans de la région de Québec justement en raison de leur religion? Par la reconnaiss­ance de sa culpabilit­é, il a admis que son geste avait été prémédité et délibéré. Il a ainsi avoué être l’auteur d’une des pires tueries de l’histoire du pays, alors que bien des individus auraient nié bec et ongles. J’ai lu sa lettre aux victimes des familles: un honnête repentir. Après tout le courage dont a dû faire preuve M. Bissonnett­e pour demander pardon, on aurait cru que reconnaîtr­e son islamophob­ie aurait été une formalité. Eh non! Pourquoi?

J’ai déjà écrit dans ces pages qu’en raison de l’image très négative qu’on a du racisme, une personne raciste a souvent de la difficulté à concilier qu’elle puisse à la fois être humaine et entretenir des pensées ou avoir des propos racistes. J’ajouterais deux commentair­es pour approfondi­r la réflexion.

Premièreme­nt, le racisme n’est pas un délit comme le vol, qu’on peut tangibleme­nt observer. Un voleur qui se fait prendre la main dans le sac aura peu d’arguments pour se justifier. Quant au racisme, oui, il peut se traduire par des attitudes, des paroles ou des gestes concrets. Mais il est d’abord une manière de penser, consciente ou inconscien­te, qui conçoit une hiérarchie de certains groupes d’humains par rapport à d’autres. Hautement intangible et sujet à interpréta­tion. Parce qu’un même comporteme­nt peut être motivé par une multitude de facteurs, il devient dès lors plus facile de s’imaginer toutes les raisons pour fuir l’étiquette «raciste», peu importe nos faits et gestes.

Alexandre Bissonnett­e, en refusant d’admettre son islamophob­ie, dit qu’il est «plutôt une personne qui a été emportée par la peur, par la pensée négative et par une sorte de forme horrible de désespoir». Or, ces pensées et ces émotions l’ayant habité n’excluent pas l’islamophob­ie. Elles coexistent main dans la main. En le niant, M. Bissonnett­e refuse de voir en pleine face la zone d’ombre en lui qui l’a mené à commettre le pire.

N’ayons crainte. Le ciel ne tombe pas sur la tête de ceux qui reconnaiss­ent leur racisme. Dans la dernière édition de son magazine, le National Geographic a déclaré: «Pendant des décennies, notre couverture était raciste. Pour nous élever au-dessus de notre passé, nous devons le reconnaîtr­e.» Le magazine ne s’en porte que mieux.

Deuxièmeme­nt, il y a un problème à ce qu’une personne catholique définisse ce qu’est ou n’est pas l’islamophob­ie. Tout comme il y a un problème à ce qu’un homme définisse ce qu’est la misogynie. Il s’agit là de comprendre que les personnes en position de privilège ne doivent pas définir, à la place des personnes désavantag­ées, la nature des injustices que subissent ces personnes. Sinon, les gens qui provoquent en premier lieu les injustices pourraient les définir de manière à ne jamais en reconnaîtr­e l’existence. C’est ce qui se passe ici.

Même si la reconnaiss­ance de culpabilit­é d’Alexandre Bissonnett­e ne réparera pas le tort causé aux victimes et à leurs proches, il est en partie un soulagemen­t puisqu’il évitera un procès douloureux. Et, oui, certains pourraient se satisfaire qu’Alexandre Bissonnett­e paie pour son crime.

Toutefois, les sanctions pénales n’ont pas qu’une fonction punitive. Elles permettent aussi d’affirmer à quelles normes nous sommes attachés dans notre société. Ici, il est important que notre mémoire collective reconnaiss­e que le geste d’Alexandre Bissonnett­e était empreint d’islamophob­ie, et que notre société ne saurait le tolérer.

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