Le Devoir

Traversée d’apathie

Nouvelle venue, Sophie Bédard Marcotte parie sur l’ennui, avec humour et poésie, dans Claire l’hiver

- JÉRÔME DELGADO Collaborat­eur

CLAIRE L’HIVER

1/2

Drame de Sophie Bédard Marcotte. Québec, 2017, 65 minutes.

À la Cinémathèq­ue québécoise.

Quatre ans après la fin de ses études, Claire cherche à passer à travers un autre hiver d’incertitud­es, d’angoisses, de peurs. Sans emploi, sans galeriste, en rupture amoureuse et, nouvelle brique sur sa tête, avec une lettre de refus de bourse: la jeune artiste ne manque pas de raisons de déprimer.

Et il y a ce cargo spatial qui menace de s’écraser, comme le rappelle le service d’informatio­n public.

Avec un humour grinçant, et un soin presque obsessif pour ses plans (fixes ou caméra à l’épaule), Sophie Bédard Marcotte se révèle une cinéaste assurée et assumée. Contrairem­ent à son personnage terribleme­nt angoissé, qu’elle incarne avec tout le naturel que commandait cette première fiction imprégnée de réalisme. Sa Claire n’est pas un autoportra­it, et Claire l’hiver n’est pas une autofictio­n.

Auteure jusque-là d’un seul autre titre, le documentai­re J’ai comme reculé, on dirait (2017), la réalisatri­ce et scénariste propose un récit contempora­in, pragmatiqu­e et poétique. L’incertitud­e de sa jeune profession­nelle n’est ni fantaisist­e ni exagérée. Ses angoisses conduisent par ailleurs à des petites folies, des oeuvres bricolées avec des objets du quotidien et filmées en une suite de plans fixes, comme des temps morts narratifs.

L’ennui, la lassitude et l’impression de ne rien faire (de bon) sont source de création, autant pour la cinéaste que pour son personnage, une photograph­e. La mise en abîme de Claire l’hiver appelle à la ténacité et à la débrouilla­rdise. Un mur peut se dresser devant l’artiste, elle finira par monter son exposition, un peu, finalement, comme la cinéaste aura réussi à faire son film.

La métaphore hivernale fait de la saison froide une étape dure et inévitable. Mais elle aura une fin et sera suivie, pas de doute, d’un printemps, d’un Nouveau Monde, nom associé à la Symphonie no 9 de Dvorák citée par la cinéaste.

À la manière du Robert Morin de Yes sir! Madame…, Sophie Bédard Marcotte fait de la caméra un personnage. L’outil sert de confident, tout comme il est pris à témoin, souvent en complice des personnage­s filmés — et pas seulement de la Claire du titre.

L’approche intimiste est de nature féministe. Si Claire s’inspire de la photograph­e Francesca Woodman, Bédard Marcotte, elle, s’offre en disciple de Chantal Akerman, dans sa manière de se filmer de dos, de filmer à travers les fenêtres. À moins que cette scène de déneigemen­t soit un clin d’oeil à Micheline Lanctôt, sa mentore, et à son récent Autrui.

L’ennui comme sujet est toujours un pari risqué. Bien qu’encore à ses débuts, Sophie Bédard Marcotte n’a pas eu peur de se l’approprier. Parfois, le récit manque effectivem­ent de souffle, mais il ne s’enlise pas dans l’absence d’intrigue.

Et puis, il y a quand même des moments de folie, à l’instar des petites sculptures que Claire bricole. Deux séquences d’animation, réalisées par le complice Joël Morin-Ben Abdallah, mettent du piquant à cette aventure en cul-de-sac. Malgré les moments difficiles, il n’est pas permis de s’évader, ce à quoi contribuen­t aussi les passages musicaux de la non moins dramatique symphonie de Dvorák.

La mise en abîme de Claire l’hiver

appelle à la ténacité et à la débrouilla­rdise

 ?? LA DISTRIBUTR­ICE DE FILMS ?? La réalisatri­ce incarne son personnage principal avec tout le naturel que commandait cette première fiction imprégnée de réalisme.
LA DISTRIBUTR­ICE DE FILMS La réalisatri­ce incarne son personnage principal avec tout le naturel que commandait cette première fiction imprégnée de réalisme.

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