Le marché de l’emploi au Québec n’est plus ce qu’il était
Le marché du travail québécois n’est plus ce qu’il était durant la dernière campagne électorale en 2014. Si la nature de ses défis a changé, leur ampleur n’en est pas moindre.
L’enjeu avait occupé toute la place pendant plusieurs jours de la campagne. Encadré par son trio économique de choc (Jacques Daoust, Carlos Leitão et Martin Coiteux), le chef du camp libéral, Philippe Couillard, avait accusé le gouvernement péquiste de Pauline Marois d’avoir nui à la croissance économique et à la création d’emplois en se montrant notamment trop interventionniste. Le futur premier ministre avait promis, s’il était élu, de créer 250 000 emplois en cinq ans, soit une moyenne de 50 000 par année. Pour la plupart à temps plein, ces nouveaux emplois devaient principalement venir d’un climat plus propice aux investissements, à la faveur de baisses de l’impôt des entreprises, d’une augmentation des dépenses d’infrastructures, de la relance du Plan Nord, de l’adoption d’une Stratégie maritime et d’exportations d’hydroélectricité.
Qualifié de relativement modeste par les experts qui rappelaient qu’une bonne année au Québec pouvait apporter entre 50 000 et 60 000 nouveaux emplois, son objectif représentait tout de même une amélioration par rapport aux années précédentes, qui avaient vu ce nombre d’emplois passer de 66 800, en 2010, à 30 800, en 2012, avant de rebondir, en 2013, à 47 800. Un débat méthodologique
surréaliste avait suivi, où l’équipe libérale s’était fait reprocher de choisir les statistiques sur l’emploi qui faisaient son affaire et où elle avait répliqué que c’était les experts et l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) qui ne savaient pas compter.
Le bulletin libéral
Exactement quatre ans plus tard, l’ISQ a dévoilé, jeudi, un État du marché du travail au Québec pour 2017 qui donne l’occasion de faire le point sur la question en cette nouvelle année électorale. Le bilan s’avère généralement positif et même impressionnant, à certains égards.
Si l’on se base sur la mesure privilégiée par l’ISQ et qui vise à réduire l’effet de la volatilité extrême des chiffres sur l’emploi, le total annuel moyen d’emplois au Québec a augmenté de 162 000 durant les quatre dernières années, soit 40 000 nouveaux emplois par année. Si l’on se fie à un autre indicateur qu’il aime bien et qui s’appuie sur une moyenne mobile de trois mois, on arrive à un gain de 207 000 emplois de février 2014 à février 2018, soit une moyenne de presque 52 000 nouveaux emplois par année. Le résultat est meilleur encore (gain total de 219 000 pour une moyenne de 55 000 par année) si l’on compare bêtement — comme le faisaient les libéraux en 2014 — les données mensuelles de février 2014 et 2018.
Ces nouveaux emplois seraient généralement de bonne qualité, aussi. Plus de 80% d’entre eux étaient à temps plein. Quant à leur rémunération, on peut présumer qu’elle s’inscrivait dans la tendance générale observée par l’ISQ, qui rapporte que le salaire horaire moyen des employés québécois (à 24,94 $ en 2017) a augmenté presque deux fois plus vite que l’inflation depuis dix ans (29 % contre 15 %).
Mais comme plusieurs observateurs le disaient déjà en 2014, le rôle du gouvernement du Québec dans ces résultats n’est probablement pas aussi important qu’il le voudrait bien. Le gouvernement libéral doit bien admettre, en effet, que sa «rigueur budgétaire» n’a, pour le moins, pas contribué à stimuler la croissance. Déjà bas, ses impôts des entreprises ont, quant à eux, peu bougé, à l’exception de ceux de certaines PME. Quant à la relance du Plan Nord, elle a été largement victime de la faiblesse des prix mondiaux des matières premières, alors que la Stratégie maritime est portée disparue.
Non. Si le gouvernement libéral a atteint son objectif électoral, c’est en bonne partie parce que le nombre total d’emplois a bondi de plus de 90 000, l’an dernier, à la faveur notamment d’un contexte mondial favorable marqué par la première croissance synchronisée des principales économies de la planète depuis de nombreuses années. Quant à la plus grande menace qui pèsera sur l’emploi les prochains mois, elle ne se trouvera pas à Québec, mais dans le fauteuil du bureau ovale de la MaisonBlanche, à Washington.
Autre temps, autres défis
Toutes ces questions peuvent apparaître bien lointaines lorsque le taux de chômage n’est plus que de 5,6% au Québec, soit moins que la moyenne canadienne (5,8%), mais surtout à des lieues du taux de 7,9% affiché il y a quatre ans. C’est que le principal problème du Québec aujourd’hui est moins le manque d’emplois que le manque de travailleurs pour les occuper.
Certains penseront peut-être que c’est un beau problème du point de vue de ces derniers. Ce serait sans tenir compte de son impact sur les recettes de l’État, mais aussi sur les perspectives de croissance économique et, par conséquent, la création d’emplois.
Dans ce contexte, et en cette ère de révolution technologique de l’intelligence artificielle, de l’automatisation et autres mégadonnées, les gouvernements devront faire beaucoup plus en matière notamment de productivité, de formation et d’inclusion de l’ensemble de la main-d’oeuvre, admettaient cette semaine les ministres des pays du G7 concernés en réunion à Montréal. Il reste maintenant à voir ce qu’en diront les partis politiques aux élections québécoises de cette année.