Le Devoir

Les pianos maudits de l’Université de Montréal

Deux bijoux choisis par la Faculté de musique sont arrivés de Hambourg fracassés

- CHRISTOPHE HUSS

Lsort s’acharne sur la Faculté de musique de l’Université de Montréal, qui, coup sur coup, a dû faire une croix sur deux bijoux de piano sélectionn­és avec grand soin, leur livraison s’étant avérée fatale. La saga, qui n’est toujours pas terminée, défie les statistiqu­es habituelle­s, forçant les importateu­rs à revoir leurs méthodes et, surtout, leur point de chute.

C’est l’annulation du concert inaugural du nouveau piano Steinway de Hambourg de la salle Claude-Champagne l’Université de Montréal, le 5 avril prochain, qui a mis la puce à l’oreille du Devoir. Selon le communiqué publié par la doyenne de la Faculté de musique, Isabelle Panneton, « le piano destiné à la Faculté de musique avait subi des dommages importants durant son transport ».

Ce que le communiqué de la Faculté de mu- sique daté du 23 mars ne dit pas, c’est que le « piano, modèle D de Hambourg » , qui sera « remplacé par un instrument du même modèle et en par fait état » , est le second à subir ce triste sort !

Le piano cassé le jeudi 22 mars était en effet l’instrument de remplaceme­nt du piano initialeme­nt choisi en octobre par l’équipe de

professeur­s déléguée à Hambourg par la Faculté et qui, à l’origine, devait être inauguré mercredi cette semaine. Ce premier choix avait été qualifié de miracle par les professeur­s : « Après 90 minutes, un professeur avait écrit “Bingo, on est tous d’accord !” » , raconte Isabelle Panneton. Le miracle est arrivé fracassé à Montréal en novembre 2017.

Un mauvais sort

Rebelote le 22 mars avec le piano de remplaceme­nt. « Nous avons peu d’informatio­ns » , nous dit Isabelle Panneton, « nous savons qu’il y a des dommages suffisamme­nt importants pour que le piano ne soit pas livré ». « Il va falloir renvoyer à Hambourg trois professeur­s et notre technicien pour en choisir encore un autre. » Les assurances de Steinway vont couvrir, car la Faculté est déchargée de toute responsabi­lité « tant que le piano n’est pas sur notre scène ».

« Maintenant, avant d’annoncer un événement inaugural, nous allons attendre de voir le piano sur scène. Il y en a pour quelques mois avant qu’on en reparle », se promet la doyenne.

« Le mauvais sor t sur ce piano va faire partie de la petite histoire de la Faculté » , ajoute Isabelle Panneton, « mais c’est infiniment triste car ce sont des oeuvres d’art, des bijoux ».

André Bolduc, représenta­nt de Steinway au Québec et importateu­r de ces oeuvres d’art, dont la valeur dépasse les 200 000 $ et peut aller au-delà selon les modèles, n’en revient toujours pas et n’en dort plus, d’autant que, pour l’heure, c’est lui qui a avancé les fonds et attend le remboursem­ent des assurances : « Je suis dans le domaine du piano depuis 40 ans. J’ai importé des centaines de pianos par avion depuis 35 ans. Il n’y a jamais eu un petit bris de rien. Et là, coup sur coup, deux, et pour le même client. »

Les instrument­s sont tombés de haut. L’emballage en témoigne, car il est muni d’indicateur­s de chocs qui passent au rouge en cas de chute. Deux étaient rouges en novembre 2017. « Quand on a reçu le premier piano, on a vu que la boîte était tombée sur le côté. Le piano était irréparabl­e. » Le 22 mars, la scène d’horreur s’est reproduite : « Je suis allé voir directemen­t à l’aéropor t, et là, horreur, le même problème, les mêmes indicateur­s au rouge! »

André Bolduc n’en revient toujours pas. « L’Université envoie les meilleurs musiciens, Jean Saulnier, Dang Thai Son, Paul Stewart, je vais avec eux à Hamboug. Steinway se donne le trouble de mettre sept, huit, dix de ses plus beaux pianos en ligne pour qu’ils puissent choisir à trois celui qu’ils vont préférer. Ils prennent un après- midi, car c’est une décision importante, c’est leur bébé ; ils en rêvent depuis dix ou douze ans. Et il se casse. On refait la même chose et il y a encore la même chose. J’ai cru mourir. C’est effrayant. J’espère qu’il va y avoir une enquête à un moment donné. »

Dévasté mais volontaire, André Bolduc a sa petite idée sur la source du problème et va prendre le taureau par les cornes pour le troisième, qu’il espère être aussi le dernier. « Le prochain, on va l’envoyer de Hambourg à l’usine Steinway de New York et on ira le chercher nous-mêmes, là-bas, en camion. » « J’ai parlé, mardi, à des concurrent­s. Ils ont eu les mêmes problèmes dernièreme­nt. Les dépositair­es ne veulent plus prendre les pianos à Montréal. Ils vont les chercher à Toronto. »

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