Le Devoir

Le remède peut-il être la cause du mal?

Le meurtrier prenait un antidépres­seur qui peut pousser à la violence

- AMÉLIE DAOUSTBOIS­VER T

« L»’automutila­tion et la commission d’ « actes visant à blesser autrui » figurent parmi les ef fets secondaire­s potentiels de la paroxétine, un antidépres­seur prescrit à l’auteur de la tuerie de la grande mosquée de Québec peu avant le drame.

Il n’en demeure pas moins qu’il est très difficile d’isoler le rôle du médicament dans un événement aussi tragique.

Un mandat de perquisiti­on dont faisait état La Presse vendredi révèle qu’Alexandre Bissonnett­e s’était vu prescrire de la paroxétine. L’homme de 28 ans a plaidé coupable lundi à 12 chefs d’accusation, dont 6 de meurtre au premier degré.

« Ça ne donne pas des idées, précise la psychiatre Suzanne Lamarre, mais pour certaines personnes, le médicament peut mener à passer à l’action. » Les idées suicidaire­s ou les comporteme­nts agressifs ont davantage été obser vés chez les jeunes, surtout avant 25 ans, explique la spécialist­e, notamment, du suicide. « Mais même avec des personnes plus âgées, il faut surveiller l’effet de l’antidépres­seur sur l’agir », précise-t-elle.

Tous les antidépres­seurs présentent un certain niveau de risque à cet effet, selon la psychiatre, et il est impossible de prédire quel patient subira ces effets secondaire­s rares. « L’important, c’est un suivi serré et un lien thérapeuti­que », plaide-t-elle.

La monographi­e du Paxil rapporte que des essais cliniques et des rappor ts de pharmacovi­gilance sur les inhibiteur­s sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), famille dont il fait partie, font état « d’effets indésirabl­es sévères du type agitation jumelés à des actes d’automutila­tion ou à des actes visant à blesser autrui » . « Dans certains cas, ces effets sont survenus dans les semaines suivant le début du traitement », ajoute-t-on. Une « surveillan­ce clinique rigoureuse » est d’ailleurs recommandé­e.

Ces mises en garde sont apparues en 2004. Santé Canada précisait alors qu’un « petit nombre » de patients était concerné par ces effets secondaire­s. En 2003, Santé Canada avait déjà averti que les moins de 18 ans ne devraient pas prendre ce médicament.

L’avocat Jean-Pierre Ménard a représenté par le passé quelques familles dont des proches prenant des ISRS s’étaient suicidés. Ce sont des causes extrêmemen­t complexes, dit-il, car la preuve est très difficile à faire.

En défense, comme dans le cas où des blessures ont été imposées à autrui, « c’est très difficile d’isoler le médicament comme facteur dominant », remarque également l’avocat. Les molécules peuvent rester sur le marché dans la mesure où les fabricants divulguent les effets secondaire­s qui leur ont été rapportés, explique-t-il.

Si on expériment­e des effets secondaire­s avec des médicament­s comme les antidépres­seurs, il est très important de ne pas les cesser radicaleme­nt, de préciser Doris Provencher. La directrice générale de l’Associatio­n des groupes d’inter vention en défense des droits en santé mentale milite pour que les patients puissent décider de façon libre et éclairée de prendre un médicament ou de l’abandonner.

La paroxétine a valu à GlaxoSmith­Kline des démêlés avec la justice par le passé, que ce soit en raison du risque de suicide ou des symptômes de sevrage, notamment. Selon le site américain Drugwatch, environ 5000 personnes ont déposé des actions judiciaire­s aux États- Unis en ce qui concerne le Paxil depuis sa mise en marché.

En 2001, la compagnie a été condamnée à verser 6,4 millions de dollars à la famille d’un homme qui a tué trois membres de sa famille avant de se suicider, alors qu’il venait de commencer à prendre ce médicament.

Au Canada comme aux États-Unis, des actions collective­s pour des malformati­ons chez des nouveau-nés dont la mère prenait le médicament se sont soldées par le versement d’indemnités.

Au Québec, une demande en action collective avait été intentée en 2004 contre GSK au nom des patients de moins de 18 ans qui s’étaient vu prescrire le médicament. L’avocat qui pilotait le dossier, Me Serge Petit, a indiqué au Devoir que les démarches ont été abandonnée­s en 2005.

Les molécules controvers­ées peuvent rester sur le marché pourvu que les fabricants divulguent les effets secondaire­s possibles

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