Une gestion de crise chez Facebook qui laisse beaucoup à désirer
Paris
— Des réponses tardives, des explications peu convaincantes et un patron hyper exposé : la façon dont Facebook et son fondateur Mark Zuckerberg gèrent le scandale des données laisse beaucoup à désirer, selon des spécialistes en communication de crise interrogés par l’AFP.
Alors que les premières révélations sur l’utilisation à des fins politiques des données de 50 millions d’utilisateurs de Facebook ont éclaté le 17 mars, il aura fallu attendre le 22 pour que Mark Zuckerberg tente d’éteindre l’incendie, en présentant des excuses d’abord sur Facebook puis sur CNN. Une éternité à l’heure du numérique, aux yeux de plusieurs experts interrogés par l’AFP, qui y voient une faute majeure.
« C’est le b. a.- ba en cas de crise : chaque heure qui passe sans réagir, c’est un peu plus de bruit et de fureur » , rappelle Marie Muzard, spécialiste de la crise digitale et fondatrice de la société de conseil MMC. « Parce que Facebook est une plateforme de communication, cela fait tout particulièrement partie de ses responsabilités de réagir rapidement et de manière proactive. C’est l’une des marques les plus influentes du monde, ce qui rend l’absence d’une réaction rapide encore plus dommageable », confirme Seth Linden, président et associé du cabinet new- yorkais Dukas Linden Public Relations.
Sur le fond, les explications et le mea culpa de Mark Zuckerberg laissent en outre les spécialistes de la gestion de crise sur leur faim. « On voit bien la volonté qu’il a de “réparer” la confiance, mais aujourd’hui cette posture est vraiment fragilisée parce qu’en période calme, Facebook n’a pas assez expliqué et donné à voir son fonctionnement, n’a pas assez rendu visibles ses équipes et ses engagements. La crise met en valeur une sorte d’écran de fumée », estime Laure Boulay, fondatrice de L’Atelier de l’opinion.
« S’il s’est montré habile en plaidant coupable, tout en pointant la responsabilité implicite du chercheur Kogan et de Cambridge Analytica, le fait qu’il ait dit ne pas avoir imaginé qu’on puisse utiliser les données à des fins de manipulation électorale pose problème. Ce n’est pas crédible de la part de Facebook, qui concentre autant d’intelligence. Cela donne l’impression que Zuckerberg a créé un monstre qu’il ne contrôle pas, comme le Dr Frankenstein », estime Marie Muzard.
En outre, faire reposer la parole du groupe quasi exclusivement sur son patron emblématique, seul visage connu du réseau social, avec sa directrice générale Sher yl Sandberg, absente jusqu’ici dans ce scandale, le place sur la sellette. « Le noeud de la crise réside dans le statut de quasiidole de Zuckerberg et Sandberg. Ils sont fragilisés et on est pratiquement dans la chronique annoncée de la chute d’une idole. L’identification totale de l’entreprise à son fondateur et porte-parole sans valoriser tous ceux qui la font tourner, c’est toute la fragilité de leur posture » , analyse Laure Boulay.
« Mark Zuckerberg est vulnérable et, si cette crise de confiance perdure, il pourrait avoir du mal à résister, notamment si les actionnaires se désengagent. Cela peut aller très vite. Son homologue chez Uber ( Travis Kalanick, NDLR) n’a pas survécu à la répétition de crises, et au sein de Facebook, il n’y a pas de “fusible” », renchérit la fondatrice de MMC.
Dans ces conditions, Mark Zuckerberg joue très gros avec sa prochaine audition devant le Congrès américain annoncée par des médias américains.
Note interne
Les difficultés du groupe se sont encore accentuées vendredi, après la fuite d’une note interne d’un cadre dirigeant, datant de 2016 et af firmant que le réseau social est déterminé à croître même aux dépens des risques pour ses utilisateurs. L’auteur de cette note qui remonte à 2016, et qui a été révélée jeudi par le site Internet Buzzfeed, est Andrew Bosworth, cadre dirigeant du groupe considéré comme proche du fondateur et président, Mark Zuckerberg.
Dans un communiqué reçu jeudi par l’AFP, M. Bosworth a cependant pris quelques distances de son propre texte. « La triste réalité est que nous croyons tellement au rappro- chement des individus que tout ce qui peut nous permettre de connecter plus de gens entre eux et le plus souvent possible nous semble de facto bon », affirme la note. Le texte rappelle que ces connexions permettent aussi aux utilisateurs de trouver l’âme soeur ou d’éviter un suicide, mais son auteur s’interroge cependant sur leurs conséquences négatives.
« Je ne suis pas d’accord aujourd’hui avec ce texte et ne l’étais même pas lorsque je l’ai écrit » , souligne Andrew Bosworth dans un communiqué reçu par l’AFP. « L’objet de cette note, comme de beaucoup d’autres que j’ai rédigées en interne, était de faire remonter des sujets qui méritaient, à mon avis, plus de discussions de façon plus large au sein de l’entreprise », explique l’auteur.
Même si la note de M. Bosworth n’a été rédigée que pour mettre ses collègues devant des questions difficiles, elle laisse entendre que les dirigeants de Facebook étaient conscients des risques liés au fait de se connecter au réseau social et d’y partager opinions et données personnelles.