Rouvrir la plaie
The Weeknd lance My Dear Melancholy,
Un
an et demi après la parution du populaire album Starboy, l’auteur-compositeurinterprète The Weeknd lance le « projet » My Dear Melancholy, — la virgule est dans le titre ! —, qui marque pour le Torontois un retour aux sources R & B douloureux, langoureux et exploratoire du triptyque de mixtapes qui avait lancé sa carrière internationale en 2011. Son interprétation riche et sa voix délicate, portée par une production experte, compensent la maladresse des textes de l’auteur à la posture contrite par ses maux d’amour autodestructeurs.
C’est le rappeur Travis Scott qui, au début du mois, avait attaché le grelot sur cet albumsurprise en af firmant, après écoute, y avoir reconnu le Torontois de ses débuts. Rien d’officiel, pourtant, n’avait encore été annoncé à propos du successeur de Starboy, qui avait valu à la prochaine tête d’affiche du Festival d’été de Québec le Grammy du meilleur album « urban contemporary ». Puis, mercredi dernier, une photo sur le compte Instagram d’Abel Tesfaye ( The Weeknd au civil), un échange texto entre l’artiste et son producteur : « Devrait-on lancer ça vendredi ? Ça m’importe peu, pour être honnête… »
Pour les fans de la première heure, les six nouvelles chansons de ce « projet » — The Weeknd préfère même parler d’un album plutôt que d’un EP — auront toute l’importance du monde. Après s’être égaré du côté pop-dance des palmarès depuis deux albums, Tesfaye s’entoure de nouveaux collaborateurs pour tenter de recréer la magie de ses mixtapes ( House of Balloons, Thursday, Echoes of Silence). Il y par vient, tant dans les orchestrations que dans les mélodies, mais échoue sur le plan des textes.
En introduction de Call Out My Name, un piano triste dilué dans l’écho introduit la voix soyeuse de Tesfaye alors qu’un lourd coup de batterie électronique cadence cette balade écorchée, réalisée par le collègue torontois Frank Dukes, un des producteurs de l’heure sur la scène pop-rap-R & B qui supervise le « projet » — notons que le compositeur électronique américano- chilien Nicolas Jaar collabore… à l’écriture du texte !
La suivante Try Me accélère la cadence d’un tout petit cran, sa r ythmique signée Mike Will Made It joue la carte minimaliste alors qu’un scintil- lant motif de synthé survole le chant de The Weeknd ; la superposition des pistes de voix, l’ambiance de milieu de nuit rappellent parfaitement l’atmosphère tamisée et désespérée des mixtapes. Ici, c’est le Gatinois ( né à Toronto) Jason Quenneville, alias DaHeala, qui donne un coup de main à la composition et à la réalisation — on le reverra sur la plus douce, et moins mémorable, Privilege, qui clôt le EP.
La surprise
La première vraie surprise arrive avec Wasted Times, une production signée Skrillex, héros du bro- step américain qui, aujourd’hui, tente de prouver que sa carrière n’est pas qu’un feu de paille. Méconnaissable sur cette allègre ballade R & B, à la rythmique légère, saccadée et harmonieuse… à défaut d’être vraiment originale — dans son motif rythmique UK garage, on peut clairement reconnaître l’influence des chansons Etched Headplate et Untrue de Burial d’il y a dix ans.
La seconde surprise offre les deux meilleures chansons du EP: il s’agit de la collaboration du producteur électro français Gesaffelstein, sa touche glaciale et ses orchestrations minutieuses, sur les chansons I Was Never There et Hurt You. La première nous ramène, elle aussi, à nos souvenirs du triptyque ; la seconde, plus techhouse, permet à Tesfaye de se rapprocher de la pop-dance de Starboy, mais avec une retenue très classe et un refrain, chanté falsetto, qui ne nous quittera plus. Et qui d’autre collabore à la composition et à la réalisation de la meilleure chanson du disque ? GuyManuel de Homem- Christo, l’un des deux Daft Punk, qui avaient bossé sur Starboy.
Reste le problème des textes, qui donnent à l’artiste un air piteux et braillard — en plus d’être par fois inutilement explicites. Les turpitudes du coeur ont façonné l’image d’amoureux éperdu de The Weeknd depuis ses premiers mixtapes, thème qu’il savait cependant articuler en tissant des liens avec ses expériences de vie nocturnes, crues et pas toujours heureuses. Sept ans plus tard, ça commence à sentir le réchauf fé : aucun des textes n’atteint la cruelle lucidité de The Morning ( House of Balloons, 2011), pour ne citer que celle-ci. Dommage.