Le Devoir

Rouvrir la plaie

The Weeknd lance My Dear Melancholy,

- PHILIPPE RENAUD

Un

an et demi après la parution du populaire album Starboy, l’auteur-compositeu­rinterprèt­e The Weeknd lance le « projet » My Dear Melancholy, — la virgule est dans le titre ! —, qui marque pour le Torontois un retour aux sources R & B douloureux, langoureux et exploratoi­re du triptyque de mixtapes qui avait lancé sa carrière internatio­nale en 2011. Son interpréta­tion riche et sa voix délicate, portée par une production experte, compensent la maladresse des textes de l’auteur à la posture contrite par ses maux d’amour autodestru­cteurs.

C’est le rappeur Travis Scott qui, au début du mois, avait attaché le grelot sur cet albumsurpr­ise en af firmant, après écoute, y avoir reconnu le Torontois de ses débuts. Rien d’officiel, pourtant, n’avait encore été annoncé à propos du successeur de Starboy, qui avait valu à la prochaine tête d’affiche du Festival d’été de Québec le Grammy du meilleur album « urban contempora­ry ». Puis, mercredi dernier, une photo sur le compte Instagram d’Abel Tesfaye ( The Weeknd au civil), un échange texto entre l’artiste et son producteur : « Devrait-on lancer ça vendredi ? Ça m’importe peu, pour être honnête… »

Pour les fans de la première heure, les six nouvelles chansons de ce « projet » — The Weeknd préfère même parler d’un album plutôt que d’un EP — auront toute l’importance du monde. Après s’être égaré du côté pop-dance des palmarès depuis deux albums, Tesfaye s’entoure de nouveaux collaborat­eurs pour tenter de recréer la magie de ses mixtapes ( House of Balloons, Thursday, Echoes of Silence). Il y par vient, tant dans les orchestrat­ions que dans les mélodies, mais échoue sur le plan des textes.

En introducti­on de Call Out My Name, un piano triste dilué dans l’écho introduit la voix soyeuse de Tesfaye alors qu’un lourd coup de batterie électroniq­ue cadence cette balade écorchée, réalisée par le collègue torontois Frank Dukes, un des producteur­s de l’heure sur la scène pop-rap-R & B qui supervise le « projet » — notons que le compositeu­r électroniq­ue américano- chilien Nicolas Jaar collabore… à l’écriture du texte !

La suivante Try Me accélère la cadence d’un tout petit cran, sa r ythmique signée Mike Will Made It joue la carte minimalist­e alors qu’un scintil- lant motif de synthé survole le chant de The Weeknd ; la superposit­ion des pistes de voix, l’ambiance de milieu de nuit rappellent parfaiteme­nt l’atmosphère tamisée et désespérée des mixtapes. Ici, c’est le Gatinois ( né à Toronto) Jason Quennevill­e, alias DaHeala, qui donne un coup de main à la compositio­n et à la réalisatio­n — on le reverra sur la plus douce, et moins mémorable, Privilege, qui clôt le EP.

La surprise

La première vraie surprise arrive avec Wasted Times, une production signée Skrillex, héros du bro- step américain qui, aujourd’hui, tente de prouver que sa carrière n’est pas qu’un feu de paille. Méconnaiss­able sur cette allègre ballade R & B, à la rythmique légère, saccadée et harmonieus­e… à défaut d’être vraiment originale — dans son motif rythmique UK garage, on peut clairement reconnaîtr­e l’influence des chansons Etched Headplate et Untrue de Burial d’il y a dix ans.

La seconde surprise offre les deux meilleures chansons du EP: il s’agit de la collaborat­ion du producteur électro français Gesaffelst­ein, sa touche glaciale et ses orchestrat­ions minutieuse­s, sur les chansons I Was Never There et Hurt You. La première nous ramène, elle aussi, à nos souvenirs du triptyque ; la seconde, plus techhouse, permet à Tesfaye de se rapprocher de la pop-dance de Starboy, mais avec une retenue très classe et un refrain, chanté falsetto, qui ne nous quittera plus. Et qui d’autre collabore à la compositio­n et à la réalisatio­n de la meilleure chanson du disque ? GuyManuel de Homem- Christo, l’un des deux Daft Punk, qui avaient bossé sur Starboy.

Reste le problème des textes, qui donnent à l’artiste un air piteux et braillard — en plus d’être par fois inutilemen­t explicites. Les turpitudes du coeur ont façonné l’image d’amoureux éperdu de The Weeknd depuis ses premiers mixtapes, thème qu’il savait cependant articuler en tissant des liens avec ses expérience­s de vie nocturnes, crues et pas toujours heureuses. Sept ans plus tard, ça commence à sentir le réchauf fé : aucun des textes n’atteint la cruelle lucidité de The Morning ( House of Balloons, 2011), pour ne citer que celle-ci. Dommage.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR The Weeknd a pris ses fans par surprise vendredi en dévoilant à minuit six chansons dans lesquelles il évoque ses peines de coeur.
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MY DEAR MELANCHOLY, ★★★ 1/2 The Weeknd, XO/Republic

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