Le Devoir

Le parasite, le Québec et la péréquatio­n

- Michel David

François Legault n’est pas le seul à pester contre les énormes sommes que le Québec reçoit au titre de la péréquatio­n. En Alberta aussi, on trouve cela choquant, mais pour raisons diamétrale­ment opposées. Le chef de la CAQ déplore que la faiblesse de son économie le rende si dépendant, tandis que les Albertains le croient trop riche pour justifier l’argent qui lui est versé.

Vu de là- bas, il peut en effet sembler anormal que le Québec accapare 11,7 milliards sur les 18,9 milliards qu’Ottawa distribue aux provinces les moins nanties. Cette semaine, Carlos Leitão a présenté un quatrième budget équilibré de suite, malgré une augmentati­on des dépenses de 5,2 %, alors que celui de l’Alberta a un déficit de 8,8 milliards et ne prévoit le retour à l’équilibre qu’en 2023. Sans parler de l’Ontario.

Selon des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’informatio­n, le ministre canadien des Finances, Bill Morneau, avait fait préparer un argumentai­re pour répondre aux doléances qu’il anticipait de son collègue albertain, Joe

Ceci, lors de sa dernière rencontre avec ses homologues provinciau­x.

Les fonctionna­ires de

M. Morneau auraient pu s’épargner cette peine en consultant les documents budgétaire­s du Québec, qui font le point sur la péréquatio­n chaque année. La formule de calcul est jugée inéquitabl­e par son gouverneme­nt, mais elle donne des résultats si avantageux pour 20182019 que M. Leitão a préféré ne pas aborder le sujet dans son discours.

Le gouverneme­nt Couillard n’a d’ailleurs pas intérêt à trop s’indigner. Le premier ministre sachant bien que les Québécois ne sont pas aussi attachés que lui aux valeurs canadienne­s, son principal argument en faveur du fédéralism­e est l’avantage financier que le Québec en tire.

◆◆◆

S’il est vrai qu’au total le Québec a droit à la part du lion, il reçoit beaucoup moins par habitant que toutes les autres provinces bénéficiai­res, sauf l’Ontario. Les transfer ts fédéraux, y compris la péréquatio­n, représente­nt plus en pourcentag­e des revenus budgétaire­s au Québec ( 21 %) qu’en moyenne au Canada ( 19 %), mais c’est bien moins que dans d’autres provinces bénéficiai­res, comme l’Île- duPrince- Édouard ( 38 %) ou le Nouveau- Brunswick (36 %).

Vu de l’extérieur, le Québec est un éternel profiteur, une sorte de parasite qui vit aux crochets du reste du pays. S’il était aussi pauvre qu’on le dit, comment pourrait- il autrement s’offrir le meilleur réseau de garderies au pays et les frais de scolarité les plus bas ?

Si le Québec of fre plus de ser vices que l’Alber ta, c’est parce que les impôts y sont bien plus élevés. Si l’Alberta voulait éliminer son déficit, elle n’aurait qu’à les augmenter. Sa « capacité fiscale » par habitant, c’est- àdire le revenu qu’elle pourrait obtenir en appliquant le taux de taxation de la moyenne des dix provinces, est de 11 227 $ par rapport à 7 497 $ au Québec. Pour tant, le Québec exige nettement plus de chacun de ses contribuab­les ( 9685 $) que l’Alberta ( 8272 $). La baisse du prix du pétrole a fait chuter ses revenus, mais elle n’en demeure pas moins la province la plus riche.

◆◆◆

L’abandon du projet de pipeline Énergie Est a créé beaucoup d’amertume en Alberta. L’automne dernier, Jason Kenney a été élu chef du Parti conservate­ur uni en promettant, si son parti l’emporte à l’élection de mai 2019, la tenue d’un référendum pour renégocier les termes de la péréquatio­n de manière à exclure les produits pétroliers du calcul. « Les chômeurs albertains ne devraient pas transférer de la richesse au Québec », disait-il. Selon lui, cette exclusion diminuerai­t la contributi­on albertaine de 10 milliards.

Valable pour cinq ans, une nouvelle formule de calcul entrera en vigueur le 1er avril 2019 et les modificati­ons annoncées par Bill Morneau dans son dernier budget ne prévoient pas ce changement qui concerne les revenus pétroliers, pas plus qu’elles ne répondent aux doléances du Québec relativeme­nt aux dividendes versés par Hydro-Québec, dont le maintien dans l’assiette des ressources naturelles a entraîné un manque à gagner cumulatif de 3,3 milliards depuis 2009-2010.

M. Kenney peut bien râler, mais il n’a aucun moyen de forcer la main à Ottawa. Les provinces non bénéficiai­res de la péréquatio­n ne versent aucune somme à celles qui en bénéficien­t. Elle est financée par les revenus prélevés directemen­t par le gouverneme­nt fédéral auprès des contribuab­les de toutes les provinces.

Elle ne fait pas vraiment l’objet de négociatio­ns. Le gouverneme­nt fédéral écoute avec plus ou moins d’attention les représenta­tions des provinces, mais il a tout le loisir d’imposer sa volonté, comme il l’a fait l’an dernier dans le cas du Tranfer t canadien en santé alors que le prétendu front commun des provinces s’est écroulé aussitôt formé. Aussi bien s’y faire, ce n’est pas demain la veille que les choses vont changer.

Si le Québec offre plus de services que l’Alberta, c’est parce que les impôts y sont bien plus élevés

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada