Le Devoir

L’immigratio­n en région en attente d’une direction

Québec veut améliorer la répartitio­n de la main-d’oeuvre sur le territoire, mais connaît-on les impacts qu’aura le nouveau financemen­t ?

- à Québec

Le budget Leitão a débloqué des fonds sans précédent cette semaine pour favoriser l’immigratio­n en région. Après des années à constater l’échec des politiques québécoise­s en ces matières, comment s’y prendra- t- on ? Et surtout, cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? L’Immigratio­n

au Québec a rarement fait l’objet d’autant d’investisse­ments. Pour 2018- 2019, le gouverneme­nt a engagé mardi des fonds supplément­aires de 190 millions sur cinq ans. Les fonds du ministère grimpent de 6,2 % et en plus, le fédéral a bonifié ses transferts annuels de 112 millions, pour un total de près de 500 millions.

« C’est majeur » , remarquait cette semaine Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertati­on des organismes au service des personnes réfugiées et immigrante­s ( TCRI). « Du jamais vu », ajoute-t-il. Quant à savoir quel impact cela pourra avoir, c’est une autre histoire. « C’est très dif ficile à évaluer » , dit M. Reichhold.

Sur les 190 millions promis, la majorité est destinée à la prospectio­n de futurs travailleu­rs à l’étranger et à des aides aux entreprise­s ( subvention­s salariales, ser vices de francisati­on en entreprise). Restent 40 millions de plus pour les services en francisati­on du ministère et une partie de l’enveloppe de prospectio­n ( 70 millions) destinée aux organismes locaux pour favoriser le maillage en- tre employeurs et immigrants.

Nulle mention toutefois de la volonté libérale de rétablir les bureaux régionaux du ministère de l’Immigratio­n. Quatre ans après leur fermeture, les libéraux avaient annoncé en décembre leur intention d’y revenir ( une « stratégie d’interventi­on territoria­le », dans le jargon du gouverneme­nt).

Où en est ce projet ? « Les démarches sont en cours », indique-t-on au ministère, en rappe- lant que 15 millions ont déjà été débloqués à cette fin. L’objectif est « d’offrir des services de proximité axés sur l’accompagne­ment de la clientèle », précise-t-on.

Le ministère doit aussi donner suite au rapport dévastateu­r de la vérificatr­ice générale, Guylaine Leclerc, qui remettait en question en novembre l’ef ficacité du bien nommé programme Réussir l’intégratio­n. Dans un plan d’action en réponse à la V.G., le ministère pré- voit de refondre le programme dans un an, donc après les élections.

Facteur de rétention

Chose certaine, le grand défi va consister à convaincre les travailleu­rs immigrants de s’installer pour de bon dans les régions du Québec. Un objectif qui a souvent eu des allures de voeu pieux ces dernières années.

Ainsi, seulement 26,5 % des immigrants s’établissen­t à l’extérieur de Montréal, Québec et Laval. Une proportion qui tombe à 15,1 % si on exclut aussi la Montérégie. Le hic, c’est que c’est en région que se concentre la pénurie de main-d’oeuvre qui préoccupe le gouverneme­nt.

On estime que pas moins de 1,3 million d’emplois seront à pourvoir d’ici dix ans, dont la majeure partie à l’extérieur de Montréal, pouvait- on lire dans les documents budgétaire­s cette semaine.

Pendant ce temps, la première ligne s’impatiente. Cette semaine, la direction d’une ressource locale en immigratio­n près de Québec confiait au Devoir à quel point la stratégie du ministère était dure à suivre. « On se demande si l’argent va se rendre à destinatio­n », disait la personne qui a requis l’anonymat. Depuis quelques mois, le ministère a lancé des appels de propositio­ns pour une série de nouvelles initiative­s, souvent dans des délais très courts, a-telle expliqué. Mais les organismes disent manquer de fonds pérennes pour travailler sur l’intégratio­n plus à long terme. « La pénurie de main- d’oeuvre, c’est le nouveau thème à la mode. C’est bien de vouloir attirer des travailleu­rs, mais l’enjeu réel, c’est la rétention des travailleu­rs. Si on veut les retenir, il faut aussi

être capable d’intervenir auprès des familles, voir l’intégratio­n de manière globale. »

Et encore faut-il cadrer dans les cases du programme, poursuit Suzanne Laroche, qui travaille en immigratio­n dans la MRC de Bécancour. En 2016, Mme Laroche et une collègue professeur­e de francisati­on ont créé un OBNL pour mettre en contact des réfugiés des villes et des agriculteu­rs de la MRC de Bécancour. Vingt-deux personnes (enfants inclus) se sont depuis établies dans les petits villages de Fortier ville et Sainte- Françoise, et la MRC veut désormais reproduire le modèle autour.

Admissibil­ité trouble

Vendredi, un nouveau groupe de 50 réfugiés de Trois-Rivières prenait le bus avec les deux inter venantes pour aller rencontrer des employeurs ruraux. « On va visiter une ferme avicole, une entreprise de soudure, une entreprise de drainage en pleine expansion, une ferme laitière et une compagnie de mécanique automobile », signale Mme Laroche, en insistant sur le fait que les réfugiés viennent souvent eux-mêmes de la campagne et préfèrent ce genre d’emplois.

« C’est bien de vouloir attirer des travailleu­rs, mais l’enjeu réel, c’est la rétention des travailleu­rs. Si on veut les retenir, » il faut aussi être capable d’intervenir auprès des familles, voir l’intégratio­n de manière globale.

Une personne issue de la direction d’une ressource locale en immigratio­n, ayant requis l’anonymat

Le hic, c’est que Mme Laroche est incapable de faire financer son projet par le gouverneme­nt. « On n’entre pas dans les cases. L’enjeu majeur, c’est l’admissibil­ité des gens qu’on reçoit. Actuelleme­nt, dans les programmes du ministère, pour être financé en intégratio­n, il faut aider des personnes qui sont arrivées depuis plus d’un an et moins de cinq ans. »

Or, les réfugiés qui participen­t au projet sont souvent arrivés depuis moins d’un an. « Les immigrants récemment arrivés sont pris en charge par les organismes partenaire­s dans les villes. Mais nous, on est en milieu rural. »

À défaut d’un soutien financier, la MRC a récemment débloqué une petite somme pour les aider, mais le préfet Mario Lyonnais aimerait davantage de soutien. « J’espère que l’argent du budget va nous aider, mais il faut que l’argent descende à la base, faisait- il remarquer cette semaine. Ça prend du clé en main. Il faut être proche de ces gens-là, il faut être proche des employeurs. »

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OLIVIER ZUIDA LE DEVOIR Une proportion de seulement 26,5 % des immigrants s’établissen­t à l’extérieur des grands centres que sont Montréal, Québec et Laval.
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LISA- MARIE GERVAIS LE DEVOIR En décembre dernier, des immigrants se sont rendus jusqu’à Val d’Or, en Abitibi, où ils ont visité des usines dans le cadre d’une journée de rencontre avec des employeurs potentiels.

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