Le Devoir

Un silence qu’il fallait briser

Les Français attendaien­t que le président prenne au sérieux l’enjeu islamiste, ce qu’il a finalement fait cette semaine

- CHRISTIAN RIOUX Correspond­ant à Paris

Le président français aura donc brisé le lourd silence qu’il entretenai­t depuis son élection. Mercredi, dans la cour de cette nécropole militaire, rendant hommage au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, Emmanuel Macron n’a pas déçu. Il a identifié comme rarement on l’avait fait avant lui ce qu’il nomme « l’hydre islamiste » qui sème la terreur en France.

Ces mots étaient attendus depuis des mois par une majorité de Français. « Ce ne sont pas seulement les organisati­ons terroriste­s, les armées de Daech, les imams de haine et de mort que nous combattons, a-t-il déclaré. Ce que nous combattons, c’est aussi cet islamisme souterrain […] qui, sur notre sol, endoctrine par proximité et corrompt au quotidien. »

De belles paroles ?

La semaine précédant l’attentat, une centaine d’intellectu­els venus de tous les horizons avaient signé une tribune dans Le Figaro dénonçant le « séparatism­e islamiste » dans lequel ils disaient voir « un nouveau totalitari­sme » qui « menace la liberté en général » . La veille du discours, même un journal de gauche comme Le Monde désignait l’islamisme comme l’ « angle mort de Macron » . Et le journalist­e de se demander : « [...] le silence d’Emmanuel Macron est-il tenable ? »

Pourtant, la poussière du discours n’était pas retombée que l’on apprenait que le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, venait de s’entendre avec celui des Cultes en Algérie, Mohamed Aïssa, pour la venue en France de cent imams algériens à l’occasion du ramadan. Les ministres assurent qu’ils seront triés sur le volet. Mais personne ne se fait d’illusion sur des religieux venus d’un pays où les athées sont persécutés, où l’apostasie peut être punie de cinq ans de prison et où des jeunes filles sont assassinée­s parce qu’elles ne portent pas le voile.

En juin 2017, lors d’une rencontre avec le Conseil français du culte musulman, Emmanuel Macron avait pourtant expliqué qu’il souhaitait mettre fin à la venue en France d’imams étrangers. Cet exemple pose toute la question de l’ « indécision » du gouverneme­nt sur un sujet où les Français attendent sur tout des gestes concrets.

Car, au-delà du courage exceptionn­el du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, le massacre de Trèbes a été ressenti comme un aveu d’impuissanc­e. Il n’a fallu que quelques heures pour apprendre que, comme tant d’autres, le djihadiste était fiché S (pour « sûreté de l’État ») depuis 2014. Un rendez-vous était même prévu avec lui dans les semaines qui viennent.

Les mois passent, le groupe État islamique a été vaincu en Syrie, mais les Français constatent que la menace terroriste ne faiblit pas. Le quotidien Le Monde révélait cette semaine qu’entre celui de Trèbes et le précédent, à Marseille le 1er octobre dernier, les ser vices de renseignem­ent avaient déjoué pas moins de six projets d’attentat. Entre ceux qui ont échoué, ceux qui ont réussi ou qui ont été déjoués, la France aura donc connu pas moins de deux projets d’attentat par mois depuis un an.

Or, une étude récente de l’Institut français des relations inter nationales ( IFRI) le confirme, le profil type du djihadiste est assez facile à dessiner. Il s’agit généraleme­nt d’un jeune des banlieues pauvres qui a frayé dans la petite délinquanc­e. C’est souvent un multirécid­iviste. Français ou pas, il est généraleme­nt issu d’une famille maghrébine de confession musulmane. Dans de nombreux cas, son nom est connu des services de renseignem­ent. Leur efficacité n’est d’ailleurs pas en cause puisque, sur 78 projets d’attentat depuis le début du conflit syrien, 50 ont pu être déjoués.

Alors, que répondre aux 58 % de Français qui jugent que le président et le premier ministre ne mettent pas tout en oeuvre contre la menace terroriste ? Ils sont aussi 83 % à réclamer l’expulsion des fichés S étrangers. Et 87 % à plaider pour une forme de rétention administra­tive des plus dangereux, comme le propose le président des Républicai­ns Laurent Wauquiez qui accuse Macron de « naïveté ».

La droite française continue en effet à réclamer cette mesure en dépit du fait que, le 17 décembre 2015, le Conseil d’État avait rappelé que « nul ne peut être détenu arbitraire­ment » et que toute loi visant à interner les personnes dites « radicalisé­es » serait jugée inconstitu­tionnelle. Sans compter l’opposition des responsabl­es des ser vices de renseignem­ent, pour qui la possibilit­é de suivre les fichés S demeure une importante source d’informatio­n.

Interdire le salafisme ?

Cette semaine, l’ancien premier ministre Manuel Valls en a rajouté en proposant d’interdire ouvertemen­t le salafisme. Cela permettrai­t, dit-il, de fermer plus facilement les mosquées qui propagent cette forme extrême de l’islam ainsi que d’emprisonne­r ou d’expulser ceux qui s’en réclament. Manuel Valls avait pour tant jugé impossible de mettre en oeuvre une telle interdicti­on lorsqu’il était premier ministre. « Ces organisati­ons [salafistes] savent par faitement échapper à la justice en dissimulan­t leur véritable nature, avait- il déclaré en 2015. Car vous n’ignorez pas que la liberté de conscience en France est une liberté fondamenta­le, consacrée par tous nos principes et nos textes. »

Sans recourir à de nouvelles lois, les tribunaux français pourraient néanmoins interdire du territoire français les étrangers qui commettent des crimes ou des délits graves, estime le président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure, Thibault de Montbrial. Rappelons qu’Ahmed Hanachi, qui a égorgé deux jeunes filles devant la gare Saint-Charles à Marseille en octobre, avait été mis en cause pour port d’arme illégal, trafic de drogue et vol à l’étalage. Alors que son expulsion avait été requise à plusieurs reprises, elle n’a jamais été appliquée.

Dans Le Figaro, Montbrial souligne que la Nor vège vient d’adopter le principe de la déchéance de nationalit­é pour les terroriste­s qui détiennent une double nationalit­é. En France, l’ancien président François Hollande avait proposé une mesure semblable après l’attentat du Bataclan. Mais il avait dû faire face à la fronde de son propre par ti. D’aucuns rappellent aussi qu’après les attentats de Bruxelles, les autorités avaient décrété un réexamen serré de toutes les autorisati­ons concer nant les centaines d’associatio­ns sans but lucratif de Molenbeek, un quartier de Bruxelles gangrené par l’islamisme.

Un quartier en sécession

Les reporters qui se sont rendus sur place affirment que Radouane Lakdim a pourtant grandi dans un quartier qui ne ressemble en rien à Molenbeek. Depuis des années, les gouverneme­nts ont en effet dépensé des dizaines de millions d’euros pour la rénovation du quartier Ozanam de Carcassonn­e. Immédiatem­ent après l’attentat, les journalist­es y ont pourtant été violemment accueillis par des jeunes qui applaudiss­aient aux meurtres de leur ancien coreligion­naire.

La presse française décrit un endroit où les policiers sont régulièrem­ent menacés et ne peuvent intervenir. Un secteur où, en 2013, un incendie criminel avait failli détruire la chapelle et où les caillassag­es de voitures sont habituels. Des habitants témoignent d’une vie quotidienn­e où une minorité de petits trafiquant­s, dont faisait partie Lakdim, a pris le pouvoir.

Depuis son élection, Emmanuel Macron a soigneusem­ent évité d’aborder ces questions délicates. Les mêmes qui ont salué son discours aux Invalides réclament aujourd’hui qu’il sor te du flou et clarifie ses positions sur les sources et les causes du terrorisme. L’excellent politologu­e Olivier Duhamel résumait assez bien la question dans Libération : « C’est un sujet sur lequel on aimerait bien entendre enfin Emmanuel Macron nous exposer en détail sa doctrine : comment, à l’épreuve des attentats, concilier unité nationale, laïcité et communauta­risme ? »

« Ce que nous combattons, c’est aussi cet islamisme souterrain […] qui, sur notre sol, endoctrine par proximité

» et corrompt au quotidien Emmanuel Macron

 ?? LUDOVIC MARIN AGENCE FRANCE- PRESSE ?? Mercredi, le président français, Emmanuel Macron, a assisté à une cérémonie nationale en hommage au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, qui s’était substitué à une des otages faites lors de l’attaque terroriste perpétrée à Trèbes, le 23 mars.
LUDOVIC MARIN AGENCE FRANCE- PRESSE Mercredi, le président français, Emmanuel Macron, a assisté à une cérémonie nationale en hommage au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, qui s’était substitué à une des otages faites lors de l’attaque terroriste perpétrée à Trèbes, le 23 mars.

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