Le Devoir

Nous avons le devoir de continuer de rêver

- DOMINIC CHAMPAGNE Auteur et metteur en scène

Dominic Champagne a traduit le discours prononcé par Robert Kennedy au moment de la mort de Martin Luther King avec l’aide de Normand Baillargeo­n. Ce texte sera lu par le comédien Vincent Graton lors d’une soirée du Théâtre À bâbord! le 4 avril à la Comédie de Montréal, dans le cadre de la Semaine mondiale d’action contre les paradis fiscaux.

Il y a 50 ans Le 4 avril 1968 Martin Luther King était assassiné

À l’époque, Robert Kennedy venait de se lancer Dans une campagne vers la présidence des États-Unis.

Et ce soir-là,

Lui qui depuis le jour de l’assassinat de son frère,

Cinq ans plus tôt,

Avait vécu hanté par les questions profondes

Du sens à donner à sa propre vie

Du sens de son devoir et de son engagement politique (Notamment dans la lutte contre les inégalités qui minaient son pays)

Lui qui savait bien que celui ou ceux qui avaient éliminé son frère (Et les raisons qui avaient motivé son assassinat) Risquaient fort bien de se dresser aussi contre lui

S’il décidait de se lancer dans la course à la présidence,

Ce soir du 4 avril, Bob Kennedy se rend dans le ghetto noir d’Indianapol­is

Pour y prononcer un discours.

La police a déjà avisé son équipe qu’elle ne serait pas en mesure De garantir sa protection et sa sécurité.

Sur l’arrière d’un camion où il est monté

Il fait face à une communauté d’hommes et de femmes Composée majoritair­ement de Noirs.

C’est lui qui va leur annoncer la tragédie qui vient d’éclater.

Pour saluer la mémoire de Martin Luther King

Je voudrais ce soir vous redire les mots de Robert Kennedy Qui allait, 63 jours plus tard, être à son tour assassiné.

Robert Kennedy

« J’ai une bien mauvaise nouvelle à vous apprendre, Une bien mauvaise nouvelle pour tous nos concitoyen­s Et pour toutes les personnes qui aiment la paix Où qu’elles soient dans le monde.

Martin Luther King a été assassiné ce soir à Memphis, Tennessee.

Martin Luther King a consacré sa vie À l’amour de ses frères humains et à la justice Et il est mort en se consacrant à cette cause.

En ce jour difficile,

En ces temps difficiles pour les États-Unis,

Il est peut-être avisé de se demander : Quelle sorte de nation est-ce que nous sommes ? Et dans quelle direction voulons-nous aller ? Pour ceux parmi vous qui sont Noirs,

Sachant que de toute évidence des Blancs sont responsabl­es, Je comprends que vous puissiez être remplis d’amertume et de haine Et du désir de vous venger.

Notre pays peut aller dans cette direction-là. Aller vers une plus grande polarisati­on : Les Noirs avec les Noirs,

Les Blancs avec les Blancs,

Pleins de haine les uns envers les autres…

Ou nous pouvons aussi,

Comme Martin Luther King l’a fait,

Nous donner la peine d’essayer de comprendre

Et de trouver le moyen de remplacer cette violence, Cette tache de sang qui s’étend à travers tout le pays, Par un effort de compréhens­ion, de compassion et d’amour.

Pour ceux qui parmi vous sont Noirs Et qui seraient tentés,

Devant l’injustice d’un tel acte,

De se laisser remplir

Par la haine et la méfiance Contre les Blancs,

Tout ce que je peux dire c’est : je ressens Dans mon propre coeur

Les mêmes sentiments

Que vous ressentez.

Un membre de ma propre famille a été assassiné Et il l’a été par un homme blanc.

Mais nous devons faire un effort aux États-Unis Pour comprendre.

Afin de traverser ces temps difficiles.

Mon poète préféré s’appelait Eschyle Et il a écrit ceci :

“Même dans notre sommeil

La douleur qu’on n’arrive pas à oublier Tombe goutte à goutte sur notre coeur, Jusqu’à ce que, dans notre désespoir, Contre notre volonté,

À travers la terrible grâce de Dieu, Vienne la sagesse.”

Ce dont nous avons besoin aux États-Unis

Ce n’est pas d’être divisés

Ce dont nous avons besoin aux États-Unis

Ce n’est pas de la haine

Ni de la violence, ni du mépris des lois

Ce dont nous avons besoin,

C’est d’amour et de sagesse.

Et de compassion les uns envers les autres.

Et d’un élan de justice

Envers ceux qui souffrent encore dans notre pays. Qu’ils soient Blancs ou qu’ils soient Noirs.

Je vous demanderai­s donc

En rentrant chez vous ce soir

De dire, bien entendu,

Une prière pour la famille de Martin Luther King, Mais aussi,

Et c’est plus important encore,

D’en dire une pour notre pays, Pour ce pays que nous aimons tous

Et pour cet amour et cette compassion dont j’ai parlé.

Nous pouvons espérer que les choses s’arrangeron­t dans ce pays. Nous aurons des moments difficiles,

Nous en avons eu dans le passé,

Et nous en aurons encore dans l’avenir.

Ce n’est pas la fin de la violence,

Ce n’est pas la fin du mépris des lois,

Ce n’est pas la fin du désordre.

Mais la grande majorité des Blancs

Et la grande majorité des Noirs

En ce pays

Veulent vivre les uns avec les autres

Et faire en sorte d’améliorer la qualité de nos vies Et que la justice règne pour tous les êtres humains.

Consacrons-nous, dans nos actes et dans nos prières, À cet idéal que les Grecs ont nommé il y a des siècles :

“Dompter la sauvagerie de l’homme Et rendre le monde meilleur”

[…] Merci beaucoup. »

C’est un politicien désespéré qui prononce ce soir-là Cet appel ému à l’amour et à la compréhens­ion. Un homme qui sait, en son for intérieur,

Que ça aurait pu être lui, la cible.

Mais ce soir-là, partout des émeutes ont éclaté Dans les grandes villes américaine­s,

Sauf dans les rues d’Indianapol­is.

L’année de l’assassinat de John F. Kennedy en 1963

Était aussi l’année du célèbre I have a dream de Martin Luther King.

Nous sommes les contempora­ins du rêve Et de la mort du rêve.

Et ce soir, dans l’écho de la grandeur et de la misère de ce rêve D’égalité et de justice,

Nous avons le devoir

De dépasser le cynisme politique dont nous sommes les témoins, De dépasser l’absence de morale

Malgré la violence qui frappe

À coups de balles ou à coups de bombes

Et aussi à coups de coupures dans les liens qui nous unissent, Dans le partage de la richesse

Comme dans tout ce qui provoque l’appauvriss­ement De millions d’êtres humains.

Malgré la mort qui continue de frapper, Nous avons le devoir de continuer de rêver.

Rêver que la justice peut progresser Et qu’elle va progresser si on s’y met.

Rêver que nous pouvons ensemble relever les défis Et passer au travers des temps difficiles

Pour faire arriver plus d’amour et plus de partage Plus de démocratie

Et plus d’égalité.

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AGENCE FRANCE- PRESSE Martin Luther King en 1966 à Paris

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