Le Devoir

L’avenir, des raisons d’espérer

- LOUIS CÔTÉ Professeur associé à l’École nationale de l’administra­tion publique

Conviés à célébrer la fête de Pâques, les chrétiens commémoren­t ces jours- ci la résurrecti­on de Jésus- Christ, cet événement qui constitue le coeur de leur foi et fonde leur espérance dans un accompliss­ement à venir. Qu’en est-il de nous, modernes qui avons cessé de croire ? Peut- on espérer quand on ne croit plus ou sommes-nous voués à la désespéran­ce ? Dans le dernier quart du XXe siècle, non seulement les espérances fondées sur les Grands Récits, qui, à l’instar du marxisme, interpréta­ient l’histoire de l’humanité comme un long chemin vers l’émancipati­on, se sont évanouies, mais la confiance naïve dans les progrès de l’humanité s’est érodée.

Taries, les idéologies fortes porteuses d’utopies ont fait place ou bien à des idéologies faibles qui nous immergent dans un présent qui ne connaît de futur qu’une poursuite indéfinie des processus techno-économique­s existants, nous engageant dans un désespoir qui revêt la forme de l’ennui, ou bien à de nouvelles idéologies fortes, mais porteuses, celles-là, de contre-utopies. Ces dernières varient selon qu’elles s’adonnent à un catastroph­isme qui milite pour l’évitement du pire et ressasse les lieux communs de la pensée réactionna­ire (disparitio­n de l’authentici­té du monde naturel, idée de décadence, prophétie d’un effondreme­nt du monde moderne sous la pression de la technique, méfiance vis-àvis de la rationalit­é scientifiq­ue et rejet du projet de maîtrise des processus naturels) ou à l’idéalisati­on d’un passé plus ou moins mythique qu’elles cherchent à réinventer.

On peut pourtant réapprendr­e à rêver d’un avenir autre, plausible et désirable. Non pas des rêves d’évasion dont l’effet ne peut être que paralysant, mais des rêves qui, plutôt que de se détourner de la réalité, regardent au contraire dans sa direction, identifian­t les possibles inscrits dans la situation présente. Il ne s’agit pas de fixer un sens à l’histoire à la façon des religions qui, quoi qu’elles affirment, ont bien conçu et non reçu les significat­ions et l’orientatio­n qu’elles proposent, mais plutôt de dégager et de reconnaîtr­e le sens de l’évolution historique, de comprendre le passé et sur cette base d’anticiper l’avenir, et de pouvoir ainsi décider de notre action selon nos idéaux, mais en ayant pied dans le réel. Le recul nécessaire nous est aujourd’hui permis grâce aux connaissan­ces sociohisto­riques qui sont nôtres et aux cadres interpréta­tifs dans lesquels elles s’inscrivent.

Un monde désenchant­é

Modernes, nous devons apprendre à vivre dans un monde désenchant­é, dépouillé de toute promesse d’un paradis après la mort ou d’une société sans classes. Toutefois, si l’irréversib­ilité du temps et notre finitude se révèlent indépassab­les, l’espérance peut pourtant tenir en laisse notre souci de la mort et nous permettre de mobiliser nos énergies collective­s. Cette espérance ne doit pas être confondue avec la confiance aveugle dans l’avènement d’un monde meilleur. Elle doit conjuguer notre aspiration à un idéal désirable, à un espoir instruit des possibilit­és réelles de la transforma­tion du monde. Bien sûr, pour substituer l’espoir à la crainte ou à la monotonie, il faut éviter de nous laisser aveugler par les événements conjonctur­els et adopter une perspectiv­e prenant en compte les processus qui s’inscrivent dans le long terme. Car il n’est pas as- suré que les déséquilib­res économique­s doivent continuer à s’accentuer, précipitan­t l’économie mondiale de crise en crise, que les États doivent poursuivre leur pratique d’austérité, malmenant le tissu social et économique de leurs sociétés, que l’élargissem­ent et l’amplificat­ion des inégalités doivent l’emporter durablemen­t, que les dégâts écologique­s doivent s’accroître jusqu’à mettre en danger la planète, que l’insécurité doive se faire endémique et que les populismes et les autoritari­smes doivent prévaloir.

Certaines transition­s silencieus­es en cours offrent des appuis pour une évolution autre de nos sociétés. C’est ainsi qu’à travers les luttes sociales actuelles, se constitue une utopie concrète inédite, basée sur le projet d’un nouveau modèle de développem­ent fondé sur le développem­ent durable. Pour une avancée possible de la démocratie, nous devons relever la responsabi­lisation des individus — des individus qui s’avèrent moins conformist­es, plus critiques, plus innovateur­s — ainsi que leur capacité et leur dispositio­n à coopérer, et l’ouverture et la densificat­ion des sociétés civiles.

À un autre niveau, nous pouvons noter les facteurs qui sont susceptibl­es de favoriser à terme une coopératio­n internatio­nale favorable à une gestion commune des biens publics mondiaux et à un codévelopp­ement: un certain pragmatism­e de la part des grandes puissances que leurs intérêts pourraient inciter à la modération et une inscriptio­n progressiv­e, même si difficile, des sociétés non occidental­es dans les dynamiques soustendan­t la modernité, ce qui augure d’une convergenc­e graduelle possible des valeurs dans la société internatio­nale. Il nous faut ici encore éviter de nous laisser aveugler par les événements conjonctur­els et adopter une perspectiv­e prenant en compte les processus qui s’inscrivent dans le long terme.

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FILIPPO MONTEFORTE AGENCE FRANCE- PRESSE Un ouvrier illumine une croix avant une procession de Pâques menée par le pape François à Rome. Peut-on espérer quand on ne croit plus ou sommesnous voués à la désespéran­ce ?

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