Le Devoir

La social-démocratie comme solution la plus sûre

- MARC ANDRÉ BODET Professeur agrégé en science politique à l’Université Laval

Malgré la bonne tenue de l’économie québécoise, le taux de croissance de notre produit intérieur brut est aujourd’hui insuffisan­t pour permettre à l’État d’honorer de manière satisfaisa­nte les hausses systémique­s de nos dépenses publiques. Les trois piliers que sont la santé, l’éducation et les services sociaux sont soit plombés par un sous-financemen­t délétère, soit de plus en plus onéreux pour nos moyens collectifs limités. Il nous faut une stratégie gagnante, et vite.

La littératur­e sur le sujet, notamment les travaux marquants du sociologue Gosta EspingAnde­rson, nous permet de réfléchir aux options qui s’offrent à nous. En gros, nous devons répondre à trois questions : Qui doit payer pour nos services publics ? Qui doit fournir ces services ? Qui peut bénéficier de l’aide de l’État ? Au regard des succès et échecs de pays comparable­s au nôtre, il semble évident que seul un régime où la taxation et l’impôt financent les activités, où l’État supervise la fourniture de services et où ces ser vices sont universels peut nous permettre de maximiser le bien- être de tous. La social-démocratie est en effet la solution la plus sûre.

Différents modèles de financemen­t sont utilisés à travers le monde. Certains États privilégie­nt l’imposition des revenus du travail et la taxation de la consommati­on pour garnir une assiette fiscale. D’autres misent davantage sur la tarificati­on pour financer, du moins en partie, un bouquet de services donnés. Finalement, il y a des cas de figure où l’État laisse le marché déterminer en totalité ou en partie la quantité et la qualité des services offerts. Il me semble évident que l’imposition des revenus et la taxation sont l’option la plus logique, du moins pour les services publics qu’on veut s’offrir. En effet, cela assure une participat­ion fiscale large en fonction des moyens de chacun. De plus, cela évite d’exclure ou de limiter l’accès aux services aux plus démunis, principaux bénéficiai­res à court terme d’un État-providence performant. Certains diront que trop de Québécois ne paient pas ou pas assez d’impôts pour participer à cet effort. Peutêtre. Mais il s’agit alors d’ajuster les leviers fiscaux disponible­s en conséquenc­e.

Compétitio­n entre fournisseu­rs

Il est incontesta­ble que la compétitio­n entre les fournisseu­rs de services améliore l’efficacité d’un système. Mais cette compétitio­n peut se vivre hors d’un marché concurrent­iel classique. Il est tout à fait possible d’offrir une plus grande indépendan­ce aux acteurs locaux (écoles, hôpitaux, CPE, etc.) en s’assurant d’une reddition de comptes et d’une responsabi­lité robuste. De plus, l’État (ou des associatio­ns à but non lucratif) a un avantage indéniable sur les entreprise­s : il n’a pas besoin de générer un profit. Il peut donc offrir des services de qualité équivalent­e ou supérieure à coûts moindres puisque la marge bénéficiai­re de l’entreprise n’a pas à être intégrée à la structure de coûts. Pourquoi payer ces 5% ou 10 % de plus ?

Un ser vice public disponible à tous et au même prix a plusieurs avantages. Premièreme­nt, la gestion des activités y est beaucoup plus simple. L’informatio­n y circule mieux et il devient inutile de mettre en place des structures visant à contrôler l’accès. Mais on oublie trop souvent un autre avantage tout aussi important. En effet, un service universel est beaucoup plus légitime pour les citoyens, surtout pour les contribuab­les plus aisés qui ont alors le sentiment que leurs impôts et taxes servent aussi à améliorer leur propre sort. Un service pour tous a donc plus de chances d’être valorisé dans la sphère publique et conséquemm­ent d’être financé de manière adéquate par des gouverneme­nts désireux de plaire à un large électorat.

Cela ne veut pas dire que la social-démocratie est une solution magique. Le fantasme scandinave d’une partie de la gauche québécoise mérite d’être tempéré, notamment par une étude plus critique des performanc­es de ces pays trop souvent idéalisés. Les défis organisati­onnels et logistique­s d’un régime social- démocrate sont importants. Il faut donc une fonction publique de grande qualité — peut- être moins nombreuse mais mieux rémunérée — pour s’assurer que la machine ne déraille pas. Mais il demeure que ce modèle est la solution la plus sûre pour garantir la sauvegarde de notre État-providence.

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