Le Devoir

Les grands moyens

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Les dernières données sur les morts par surdose d’opioïdes sont découragea­ntes : près de 3000 entre janvier et septembre 2017, soit 45 % de plus que pour la même période en 2016. À ce rythme, a prédit mardi l’Agence de santé publique du Canada, le nombre de décès par surdose pourrait dépasser 4000 en 2017, plus que dans les accidents de la route. Désireux de freiner le phénomène, le gouverneme­nt fédéral a annoncé la veille qu’il facilitera l’accès à des traitement­s de substituti­on. Un pas bienvenu, mais encore insuffisan­t.

La crise des opioïdes est une question complexe qui requiert une réponse correspond­ante : interventi­ons d’urgence, prévention des maladies transmissi­bles et des surdoses, accès à des traitement­s efficaces, contrôle plus serré des prescripti­ons, lutte contre la contreband­e. Confrontés à une crise qui ne fait que s’amplifier d’année en année, les gouverneme­nts multiplien­t les actions sur tous ces fronts. Il est de plus en plus convenu que, pour ce qui est des usagers et toxicomane­s, il s’agit d’un enjeu de santé publique. C’est cette logique qui a inspiré les programmes d’échange de seringues et les traitement­s à la méthadone, puis l’autorisati­on très restreinte d’héroïne pharmaceut­ique, l’ouverture de centres d’injection supervisée et la distributi­on de plus en plus large de naloxone.

Malgré tout, le fléau s’aggrave. En Colombie-Britanniqu­e, où la crise sévit plus sévèrement qu’ailleurs et où est né le premier centre d’injection supervisée canadien, on ne s’illusionne plus. Si la réduction des méfaits est le principe directeur de cette lutte, il faut aller plus loin.

Ce que veulent les responsabl­es de la santé publique de la province et le maire de Vancouver est la décriminal­isation de la consommati­on et de la possession simple de toutes les drogues afin, entre autres, d’enrayer la peur qui décourage trop de toxicomane­s à chercher de l’aide. Le chef du Nouveau Parti démocrate, Jagmeet Singh, leur a emboîté le pas, puis son parti lors de son dernier congrès. Bien que cela ne fasse pas consensus, le caucus libéral fédéral a soumis une résolution prioritair­e en ce sens qui devrait être débattue dans deux semaines, lors du congrès du parti à Halifax.

L’idée n’est pas saugrenue, comme le démontre l’exemple portugais. Ce pays a, en 2001, décriminal­isé toutes les drogues afin de juguler une flambée de morts par surdose d’héroïne. Une personne prise en possession d’une petite quantité de drogue pour consommati­on personnell­e comparaît seulement devant un « panel de dissuasion » composé d’intervenan­ts sociaux. Les récidivist­es se font prescrire des traitement­s de substituti­on. La stratégie a porté ses fruits puisque le nombre de morts par surdose y est maintenant le plus bas de l’Europe de l’Ouest et cinq fois inférieur à la moyenne de l’Union européenne. Quant au trafic, il est toujours illégal et combattu.

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Interpellé plusieurs fois sur le sujet, le gouverneme­nt Trudeau a toujours écarté l’idée. Comme l’ont confié au Devoir certains députés, la légalisati­on de la marijuana est la priorité et ne veut pas faire dérailler ce train. Mais il faut rappeler que décriminal­iser n’est pas légalisé.

L’annonce faite lundi par le gouverneme­nt s’inscrit tout de même dans cette approche axée sur la santé publique. Les règles entourant la prescripti­on de méthadone seront assouplies pour permettre à tous les médecins d’en prescrire, et pas seulement quelques-uns. L’administra­tion d’héroïne pharmaceut­ique, souvent la seule solution pour des toxicomane­s résistants à tout autre traitement, pourra se faire ailleurs qu’en milieu hospitalie­r. Les toxicomane­s pourront recevoir leur dose dans des centres de traitement­s et cliniques autorisés.

Il s’agit d’un pas important, mais même ajouté à tout le reste, il ne suffit pas. Il faut faire en sorte que les toxicomane­s ne soient plus des criminels aux yeux de la loi. Il en va de leur propre sécurité. On l’a vu récemment à Saskatoon, où des trafiquant­s ont vendu de la cocaïne contaminée au fentanyl, causant plusieurs morts. Le chef de police a nommé publiqueme­nt les responsabl­es et invité leurs clients à rapporter la drogue à un poste de police, avec la promesse, bien sûr, de ne pas les arrêter. S’ils n’avaient pas été des criminels au sens de la loi, cet appel serait allé de soi.

Comme au Portugal, il faut envisager au Canada la décriminal­isation de la consommati­on et de la possession simple de toutes les drogues illégales, car la toxicomani­e est une question de santé avant tout, comme nous le rappelle cruellemen­t la crise actuelle.

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MANON CORNELLIER

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