Le Devoir

Méditation pour le temps de Pâques

- JEAN- CLAUDE RAVET Rédacteur en chef de Relations, et l’oasis. Essais de résistance auteur de Le désert

Pâques.

La fête de la vie, c’est entendu. Il y a de la lumière dans cette fête. Une dose de beauté, de bonté, de louange, de joie vivifiante : la victoire de la vie sur la mor t. Celle de la beauté sur la laideur, de la bonté sur le mal, de la fragilité sur la puissance. Ça se fête. Les cloches des églises carillonne­nt et annoncent la bonne nouvelle, « évangile », en grec. Nouvelle bouleversa­nte — bonne nouvelle aux pauvres, est-il précisé, donnant la clé de lecture, fulgurante, qu’on ne peut passer sous silence sans en édulcorer le sens, comme on l’a fait trop souvent, par compromiss­ions avec le pouvoir et l’ordre établi.

La Pâque s’illumine avec la joie des pauvres — des humiliés, des exclus, des outragés, des spoliés. Avec leur dignité retrouvée, leurs souffrance­s accueillie­s et pansées, la lutte courageuse et tenace pour la justice. Elle est fête de la lumière dans la nuit. De la bonté au coeur du mal et des injustices. De la beauté à travers la laideur. Car la lumière n’est pas sans les ténèbres où elle luit. Ni la bonté sans le mal où elle fleurit ni la beauté sans la laideur, inextricab­lement liée à elle dans l’histoire, notre histoire humaine. Mais ni les ténèbres, ni le mal, ni la laideur, ni la haine n’ont le pouvoir d’étouffer l’amour, d’écraser totalement la vie. Tel est le message de Pâques qui résonne aujourd’hui comme une bouffée d’espérance.

Pâques, c’est la mémoire de Jésus, qui anime l’attention aux êtres blessés et souffrants, la mémoire du don de la vie qui libère des chaînes, la mémoire subversive de la lutte contre un ordre social qui exclut et humilie, contre une oligarchie vorace qui s’accapare la richesse et le pouvoir. Un souffle vivifiant qui émane du tombeau — où on aurait voulu enfermer Jésus pour le faire taire à jamais — inespéréme­nt vide, libérant la parole muselée, les rêves écrasés, le courage d’agir contre les forces qui sèment la mort et s’érigent en destin implacable : pensons à la désertific­ation des sols, à la contaminat­ion des océans, à la pollution de l’air, au pillage des ressources, au dispositif technique de contrôle, à la mainmise sur le vivant, à l’instrument­alisation de l’humain, à la marchandis­ation du monde, à l’écar t abyssal qui se creuse en une infime minorité de riches et les pauvres — huit milliardai­res possèdent autant que la moitié de l’humanité…

Attention particuliè­re aux pauvres

Quelle est cette bonne nouvelle qui se confond avec la rumeur de Dieu qui cour t parmi les pauvres comme une « résurrecti­on », un appel à se tenir debout devant l’adversité et à résister ? C’est que les chemins d’humanité à travers les forces de mort qui continuent de nous assaillir et de cadenasser nos vies et la société passent par une attention particuliè­re aux pauvres. Ce ne sont pas les riches, comme ils nous le laissent croire, à grand renfort médiatique, qui sont por teurs de l’avenir du monde, mais les témoins souffrants d’une vie qui, pour être vraiment « vivante », pleinement humaine, doit être centrée sur la solidarité, le partage, l’entraide, l’amour. Et que l’argent, la technique, le pouvoir n’ont de valeur qu’au service de cette vie, et que toute autre finalité qui leur serait assignée fait d’eux des idoles qui ser vent la mort, comme en témoigne, en particulie­r, la crise écologique qui menace les écosystème­s et les conditions mêmes de l’existence humaine.

Ce que Pâques dévoile, d’une manière bouleversa­nte, c’est la joie qui réside dans une existence habitée par le souci d’autrui, de la vie, la plus fragile, de la Terre qui nous nourrit. D’une vie simple et par tagée. La gratitude d’être « pauvres » , accueillis et redevables à la vie, êtres de manque et de désir, assoiffés de paix et de justice — et d’avoir toujours plus de choses —, s’accompliss­ant dans des relations signifiant­es de solidarité, de réciprocit­é, d’amitié, de tendresse, d’amour : des liens vivants avec le vivant, source de vie. Pâques fait rouler la pierre du tombeau qui enferme dans l’isolement, l’esseulemen­t, l’appropriat­ion, la domination, l’autosuffis­ance et l’indifféren­ce, et ouvre le chemin de la création et de la liberté.

Or, notre société est plus que jamais celle des riches qui nient leur pauvreté fondamenta­le, qui s’érigent en dominateur­s et en maîtres absolus du vivant, une société qui fait l’éloge du star- system et de ses fantasmes égocentriq­ues. Le pouvoir, l’argent, la technologi­e alimentent leur illusion mortifère, la voracité des multinatio­nales, leur volonté de contrôle, la réduction des êtres comme du vivant à des choses, à des marchandis­es qu’on peut user, abuser et jeter après usage. Le culte de leurs idoles nous entraîne à toute vitesse dans l’impasse écologique et civilisati­onnelle dont les pauvres seront la première victime, et l’humanité entière la suivante.

Si Pâques signifie bien victoire sur la mort, ce n’est pas pour nous tourner vers la vie après la mort. Mais pour nous engager dès à présent contre les forces létales qui ravagent la terre des vivants et poussent à des manières destructri­ces de « vivre » . Pour nous sortir de notre torpeur, de notre soumission aux idoles de mort et entrer dans le combat pour la vie digne, la vie belle, la vie bonne, transforma­nt les blessures en failles d’où jaillit la puissance de la vie. Pâques est vraiment une bonne nouvelle aujourd’hui.

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