De l’auteur comme vampire
Simon Boudreault s’est inspiré de sa vie pour écrire une comédie sur un mariage interconfessionnel
PPour une thématique qui alimente tant notre actualité, les relations interconfessionnelles, notamment avec les Québécois musulmans, semblent peu inspirer nos dramaturges. Simon Boudreault lui-même n’aurait probablement pas écrit sa comédie dramatique, qui brasse religion, identité, peur de l’autre, n’eussent été les questions qu’a provoquées chez lui son mariage « obligé » avec son amoureuse d’origine marocaine, un compromis pour accommoder (oh le gros mot !) sa belle-famille. L’auteur confesse qu’il avait même songé un temps à reporter Comment je suis devenu musulman, de peur que l’oeuvre n’ait l’air opportuniste dans le climat social de l’époque.
La pièce créée à La Licorne dépeint les rapports entre deux familles de cultures différentes, liées par la venue prochaine d’un bébé. JeanFrançois et Mariam ne sont pas pratiquants, mais les parents de la jeune femme insistent pour que le couple se marie. Et dans la religion musulmane qui plus est ! Une conversion de pure formalité que le futur papa, athée, hésite à accomplir…
« C’est une pièce sur le rapport à l’autre, mais de tous les points de vue, résume Simon Boudreault. Pour les immigrants marocains de première génération, l’autre étant cette famille québécoise francophone qui entre dans leur vie. » Enfants d’immigrés comme catholiques de souche aux rapports divers avec la religion : le dramaturge a tenté d’être le plus juste possible avec tous. « Pour moi, c’était très important d’essayer de rendre les différents enjeux et les valeurs de chacun, avec le moins de jugement possible. Afin que le spectateur se retrouve peut- être parfois à être d’accord avec le personnage qu’il s’attendait le moins à approuver. » Loin de la haine et de l’extrémisme, déjà bien en évidence dans les médias, il désirait créer une pièce « avec de l’incompréhension, des malentendus, mais à échelle humaine ».
N’empêche qu’il est devenu délicat d’écrire sur une communauté à laquelle on n’appartient pas… Les commentaires de sa femme ou de cer tains interprètes ont rassuré Boudreault sur ses personnages arabes. « Et je pense que c’est aussi notre travail comme auteurs d’être capables de se mettre à la place de l’autre, à n’importe quel niveau. Si je n’ai pas l’acuité pour essayer de le comprendre, ça voudrait dire que je peux juste parler de mon point de vue. » Pour le dramaturge, la littérature serait « bien pauvre » si on était limité à écrire de sa propre perspective identitaire.
Vide de rituel
Microcosme social, Comment je suis devenu musulman est une comédie ambitieuse, au récit éclaté, qui s’écarte parfois du réalisme, où les personnages s’adressent occasionnellement au public. Séduit par la forme des Contes des 1001 nuits, Simon Boudreault aime le principe narratif de l’histoire dans l’histoire. « L’acte de raconter une histoire, c’est une façon d’entrer en relation, d’essayer de se comprendre. »
Le récit pose un défi au metteur en scène dans ses transitions. « Mais c’est ce qui fait sa force, je trouve. Une fois enchaîné, ça devient épique. Et on passe d’un élément dramatique à une scène limite burlesque. Juste par cette juxtaposition, les ruptures de ton amènent un regard différent sur la scène qu’on vient de voir. »
C’est la pièce d’un auteur qui se sent en possession de ses moyens dramaturgiques. « Je suis beaucoup plus conscient de ce que je fais que je ne l’étais sur As is, même. C’est beaucoup plus contrôlé, disons. » Cette meilleure maîtrise de la structure narrative lui permet de la complexifier, « de mettre davantage de strates ».
Sa pièce n’est pas autobiographique ( tout a été « beaucoup plus simple » dans sa vie), mais Simon Boudreault l’admet carrément : il a « vampirisé » sa propre vie. Surtout en intégrant dans son texte le cancer dont souffrait sa mère — décédée depuis. « C’est là que je me suis senti un peu comme un vampire : ai- je le droit de faire ça ? Est-ce malsain ? Je n’ai pas de réponse. Je pense que c’est la pièce où j’ai le plus emprunté de mes proches. »
La maladie maternelle a surtout confronté le dramaturge à la vacance de rituels dans notre société. Mère et fils en ont beaucoup discuté. « Elle ne voulait pas de salon funéraire, d’église… Mais tu remplaces ça par quoi ? Ou pour marquer les moments importants comme le mariage, la naissance ? J’ai eu besoin de faire l’état des lieux de ce vide de rituel dans lequel on se retrouve. » Un vide qui entre en collision avec les pratiquants de religions où tout est codifié.
C’est la disparition de ces rites qui rend la mort plus difficile à affronter, estime- t- il. « Le rituel, c’est quelque chose de [collectif]. Quand il n’y en a plus, on est beaucoup plus confrontés à la solitude. Je réalise de plus en plus, en vieillissant, que ces actes rituels, ces rassemblements aident à traverser les étapes de la vie, ou les moments difficiles. »
Main tendue
Le spectacle sera créé par une distribution diversifiée (Sounia Balha, Nabila Ben Youssef, Benoît Drouin-Germain, Michel Laperrière, Marie Michaud et Manuel Tadros), et certains dialogues seront entendus en arabe marocain, une langue « si musicale ».
Simon Boudreault, qui admet que le climat social l’inquiète ( « il y a beaucoup d’agressivité latente » ) , voit sa pièce comme une main tendue vers l’autre. « J’ai envie de susciter des discussions. C’est pourquoi j’espère que des spectateurs arabes vont venir. On fait plein de démarches pour essayer d’aller rejoindre la communauté. Je veux créer des conversations, qu’on soit confronté à nos préjugés. Je pense que lorsqu’on comprend l’autre, c’est beaucoup plus facile d’accepter ses différences. »
Comment je suis devenu musulman
Texte et mise en scène : Simon Boudreault. Production: Simoniaques Théâtre. À la Grande Licorne du 3 au 21 avril.
Pour moi, c’était très important d’essayer de rendre les différents enjeux et les valeurs de chacun, avec le moins de jugement possible. Afin que le spectateur se retrouve peut- être parfois à être d’accord avec le personnage » qu’il s’attendait le moins à approuver. SIMON BOUDREAULT