Le Devoir

Y a-t-il une danse nordique ?

La question revient : le territoire influence-t-il la création et les créateurs?

- CATHERINE LALONDE LE DEVOIR

La danse, par définition langage du corps et du mouvement, est reconnue pour son universali­té, sa capacité à franchir la frontière des langues, et les frontières, même. L’événement Printemps nordique, qui emmène une série d’artistes de la Scandinavi­e en les présentant comme une « invitation à réfléchir à ce qui est commun à la culture nordique dont le Québec fait partie, lui aussi » , pousse à se reposer la question : le territoire influence-til la création, l’âme du créateur ? Y at-il une danse nordique ?

« Plus jeune, je me tenais très loin de ces lectures- là » , répond d’emblée la Nor végienne Ina Christel Johannesse­n, « jusqu’à dire que je n’étais ni Nor végienne, ni Scandinave, mais que je n’étais que moi — un individu, une artiste. Mais je vois de plus en plus ce qui me colore, et il y a quelque chose de scandinave. »

La chorégraph­e, reconnue pour son usage de scénograph­ies proches de celles du théâtre, qui intègre dans ses danses les expression­s du visage comme les émotions et les pensées de ses interprète­s, souligne toutefois, en contrepoin­t, que sa compagnie est composée de danseurs qui viennent de partout — dont Anne Plamondon, d’ici, égérie entre autres de Victor Quijada du Groupe Rubberb-and-Dance.

« Je ne fais pas de l’art pour promouvoir la Finlande, répond de son côté Tero Saarinen, mais oui, je porte en moi ce paysage mental où j’ai grandi. Je ne peux nier être chargé de ces épices, ces sentiments, ces tempéramen­ts de la Finlande et de la nordicité » , indique l’ex- danseur du Ballet national de Finlande.

Chantal Pontbriand, fondatrice du défunt Festival internatio­nal de nouvelle danse ( FIND), qui a permis à par tir des années 1980 aux danses contempora­ines d’ailleurs d’être vues ici, estime que la question ne se pose plus. « À par tir du deuxième FIND, en 1987, j’ai axé chacune des éditions sur un pays ou une région du monde au fur et à mesure que la nouvelle danse s’y cristallis­ait, que cet endroit dans le monde émergeait sur la planète “nouvelle danse”. Le dernier dans cette optique fut le 9e FIND, en

1999, avec Afrique aller-retour. Mais à partir du moment où il y avait de la nouvelle danse en Afrique, il n’était plus nécessaire de continuer à tracer cette car tographie de la danse en émergence, car elle avait de toute évidence imprégné tous les continents. » D’autant que les idées contempora­ines, qui voyagent désormais plus facilement, plus rapidement, et presque par tout grâce à l’évolution des communicat­ions, semblent a- territoria­les. La danse conceptuel­le, par exemple, est prati- quement un no man’s land, qui se retrouve partout sur la planète.

« Par ailleurs, poursuit Mme Pontbriand, je n’ai jamais vu ces axes “territoria­ux” comme étant quelque chose de narratif, un signe d’exotisme lié à l’identité — exemple : la “nordicité” comme on en parle aujourd’hui ou l’africanité comme on aurait pu en parler en 1999. Je vois plutôt les choses en termes d’énergie et d’intensité. »

Interrogés séparément, la chorégraph­e norvégienn­e et son collègue

finlandais nomment des éléments fort similaires lorsqu’ils parlent de l’influence de la Scandinavi­e sur leur imaginaire créatif. « La dureté du climat, la noirceur [“the darkness”], que les Canadiens connaissen­t aussi en hiver », énumère Mme Johannesse­n. « Les grands changement­s de lumière entre l’été et l’hiver. Le vide, l’espace — nous sommes cinq millions en Norvège, pour un pays assez grand, très long. En résulte une solitude. Je pense que ça colore mes oeuvres. Je pense aussi que ma relation au non-dit, à certaines invisibili­tés — jusqu’au nom de ma compagnie, zero gravity… —, comme si le sens n’apparaissa­it jamais au premier regard, vient en partie de là. Il faut souvent re- regarder pour bien voir, bien comprendre, et dans mes oeuvres aussi. »

« C’est cliché, dit de son côté M. Saarinen, mais il y a toujours cette solitude — car nous sommes isolés. Et ce goût prononcé pour la lumière. Nous vivons ici des changement­s de lumière marqués : surexposés en été et confinés à la lumière artificiel­le en hiver. Il y a presque un côté cinématogr­aphique à nos vies, et c’est ainsi que je traite la lumière dans mes chorégraph­ies. »

Le froid a-t-il une influence sur le corps du danseur ? Le Finlandais croit que oui, sans trop détailler. « Dans cette pièce, je voulais parler d’isolement et de protection­nisme. On le voit dans les costumes — nous sommes surhabillé­s, comme des astronaute­s perdus, comme on le fait ici en hiver, quand on ne reconnaît même plus dans la rue qui est qui tant on se protège. Et c’est ce qui m’effraie aujourd’hui, de voir comment on se surprotège, socialemen­t, des autres, en ayant peur de se laisser influencer. »

Car pour les deux ar tistes, l’universali­té de la danse — et c’est sa beauté, précise M. Saarinen, — est supérieure à toute empreinte d’identité nationale. « J’ai pu travailler en Afrique, en Corée du Sud, au Japon, dans une célébratio­n d’un langage non verbal qui se transmet au- delà des nations. » Il y aurait un danger, mentionne- t- il, à penser l’art sous l’angle de la nationalit­é. Même si le lieu peut assurément influencer l’âme, et donc l’imaginaire.

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 ?? MIKKI KUNTTU ?? « Je ne fais pas de l’art pour promouvoir la Finlande, dit Tero Saarinen, mais oui, je porte en moi ce paysage mental où j’ai grandi. » Breath De et avec Tero Saarinen et Kimmo Pohjonen. Au Grand Théâtre de Québec le 12 avril, à la Place des Arts du 17...
MIKKI KUNTTU « Je ne fais pas de l’art pour promouvoir la Finlande, dit Tero Saarinen, mais oui, je porte en moi ce paysage mental où j’ai grandi. » Breath De et avec Tero Saarinen et Kimmo Pohjonen. Au Grand Théâtre de Québec le 12 avril, à la Place des Arts du 17...

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