L’heure d’hiver
Méditation mélancolique sur la fragilité des liens familiaux, et de la France
Est-il possible de dresser des parallèles entre des cinéastes aussi différents qu’Olivier Assayas et Robert Guédiguian ? Le souvenir de L’heure d’été (2008) surgit parfois devant La villa, deux radiographies familiales aux fortes résonances sociales, montrant la déliquescence d’une certaine France liquidant son passé, égratignant au passage l’américanisation de la jeunesse (tâche en partie dévolue à Juliette Binoche dans le premier film, et à Anaïs Demoustier dans le second).
Qu’on se rassure: Guédiguian, lui, n’a pas changé, revenant au cinéma intimiste ( Marius et Jeannette, Les neiges du Kilimandjaro) qui fait sa force depuis maintenant quatre décennies. Il a déjà prouvé sa capacité à flirter avec le drame historique ( L’armée du crime), mais n’est jamais aussi pertinent, et émouvant, que lorsqu’il entame sa petite musique marseillaise, sans oublier sa belle bande d’acteurs d’une fidélité admirable.
Ceux-ci prennent un coup de jeunesse, le temps pour Guédiguian d’insérer un extrait d’un de ses premiers films, Ki lo sa ? ( 1986), avec Ariane Ascaride, Jean- Pierre Darroussin et Gérard Meylan, fringants et insouciants sur un air de Bob Dylan. Le présent s’avère toutefois beaucoup plus lourd, petite fratrie réunie dans un village en déclin du sud de la France et autour d’un père af fligé à la suite d’un accident cardio- vasculaire.
Les retrouvailles sont ponctuées de reproches, de non-dits, de souvenirs douloureux, Angèle ( Ascaride), actrice de renom ayant perdu sa fille de manière tragique dans cette maison 20 ans auparavant. Ce deuil jamais résolu, combiné à l’embarras des gens qui se connaissent trop bien et qui se sont perdus de vue depuis trop longtemps, teinte leurs rappor ts. C’est aussi l’occasion de renouer avec ceux qui ont grandi, vieilli, et n’ont jamais quitté les lieux, de découvrir aussi que dans ces enclaves pittoresques là aussi le temps fait son oeuvre (le bruit incessant d’un train circulant sur un gigantesque viaduc le rappelle du début à la fin!).
Ce temps ravageur, cette époque trouble sont aussi symbolisés par la présence de migrants rejetés par la Méditerranée qui joueront un rôle non négligeable au sein de ce quatuor, auquel s’ajoute la jeune « fiancée » ( Demoustier) du grognon de service (Darroussin dans du prêt-àjouer), autant d’éléments à la fois discordants et rassembleurs dans la fraîcheur de l’hiver, celui des Calanques. Il y a là un parfum diffus de mélancolie, voire d’amertume, en partie atténué par quelques touches humoristiques, certaines insufflées par Robinson Stévenin en jeune amoureux transi d’Angèle, effrayée par tant de dévotion.
Guédiguian s’en remet une fois encore à son solide refus des artifices, soutenu en cela par le directeur photo Pierre Milon, un autre grand fidèle du cinéaste ne donnant jamais dans l’enflure visuelle. Car La villa, c’est d’abord et avant tout une simple et magnifique partition pour acteurs sachant depuis longtemps jouer à l’unisson, un hommage bien senti à un coin de pays fragilisé par la modernité, et un film choral traversé par ce désir, à la fois naïf et touchant, que les idéaux de la gauche ne soient pas tous broyés par l’Histoire. La finale laisse poindre cet espoir ; c’est aussi à cela que l’on reconnaît Robert Guédiguian.
La villa
★★★★
Drame de Robert Guédiguian. Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Anaïs Demoustier. France, 2017, 107 minutes.