Le Devoir

Michael Blum sur les traces de l’undergroun­d

Où est donc passée l’avant-garde ? Serait-elle avant tout dans les archives d’Artexte ?

- NICOLAS MAVRIKAKIS COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Il fut une époque, pas si lointaine, où les artistes qui vendaient beaucoup d’oeuvres étaient considérés comme commerciau­x. De nos jours, dans ce que l’on nomme fallacieus­ement la scène internatio­nale — en opposition au secteur « local » des « médiocres » artistes nationaux —, on surveille la cote des artistes vivants en les classant selon les prix atteints par leurs oeuvres. Dans cette mouvance du marché mondial dictant de plus en plus sa loi à l’histoire de l’art, où est donc passée la notion d’avant-garde? Où sont donc, de nos jours, l’undergroun­d et les arts de la marginalit­é ? Le milieu de l’art qui assume son anticonfor­misme est plutôt restreint de nos jours. Quelques rares lieux d’exposition­s, ici et là, ainsi que quelques revues indépendan­tes issues d’une mouvance DIY ( Do It Yourself), nommées zines (magazines, fanzines, photozines, graphzines…) peuvent-ils encore vraiment revendique­r ce statut?

Dans le cadre d’une résidence de recherche, l’artiste Michael Blum a plongé dans les archives d’Artexte pour y réaliser un long travail de redécouver­te de revues undergroun­d publiées entre le début des années 1960 et la fin des années 1980. Il a fait plusieurs trouvaille­s. Vous y retrouvere­z les revues Sous le manteau et Véhicule de Montréal, Lubie du Saguenay– Lac-Saint-Jean, Body Politic et File de Toronto — cette dernière fut publiée par le collectif General Idea —, Centerfold de Calgary, Heresies de New York, Fanzini de Brooklyn… Vous y verrez aussi Allez chier, revue fondée par Yvan Mornard après que son magazine Sexus eut été saisi par la police. Le premier numéro, publié en mars 1969, offrait plusieurs pages à l’artiste Serge qui y posait quasiment nu.

Quel est le résultat de cette fouille ? Une simple mise en scène nostalgiqu­e pour une époque mythifiée après coup ? Une esthétique undergroun­d? Une esthétique du fuck off ?

Michael Blum a réalisé une installati­on vidéo multiécran à partir de ces revues, que vous pourrez d’ailleurs consulter dans les locaux d’Artexte. Sur trois écrans, il exhibe des gros plans de textes et d’images de ces revues. Des publicatio­ns qui faisaient une critique sociale parfois virulente, n’hésitant pas à utiliser un ton agressif, vulgaire, irrévérenc­ieux. Elles sont le signe d’une époque militante qui revendiqua­it la diversité et la liberté sexuelles, mais qui dénonçait aussi la violence sexuelle en étant souvent féministe, un féminisme qui n’avait pas honte de son nom.

Vous y verrez un art qui s’attaquait au capitalism­e, au système et à « notre propre irresponsa­bilité politique ». Un art souvent caricatura­l et antireligi­eux. Un art qui montrait beaucoup de corps nus et qui devait lutter continuell­ement contre le musellemen­t politique. On est loin de la petite censure mal assumée par Facebook à propos d’oeuvres reconnues par l’histoire de l’art… Un art qui prenait position sur le statut socio-économique des artistes. Dans un des extraits de ses revues, on peut lire ces mots à moitié ironiques : « Créer ou l’art de vivre pauvre et malheureux. »

Grâce à ses gros plans, Blum met aussi en évidence la pauvreté de moyens utilisés par les créateurs de ces revues. Une esthétique et une typographi­e presque artisanale­s qui étaient en fait très libres. Nous sommes loin de l’esthétique qui, aujourd’hui, se veut profession­nelle et qui est souvent d’un ennui incommensu­rable. Un art de l’appropriat­ion et du travail collectif qui semble branché sur la spontanéit­é.

Voici une exposition qui pourra sembler un peu fragmentai­re et morcelée. Mais Blum fait justement écho à la réalité de ces revues qui fonctionna­ient par photomonta­ges.

Ces revues seront certaineme­nt des sources d’inspiratio­n pour notre époque, elle aussi aux prises avec des valeurs conservatr­ices et religieuse­s, avec un backlash réactionna­ire violent. Le citoyen du XXIe siècle y a peut-être déjà trouvé des exemples à suivre, tel ce slogan qui reprend un certain élan depuis l’élection de Donald Trump: « Dont mourn. Organize. » Ne pleurez pas. Organisez-vous.

L’undergroun­d à la loupe

De Michael Blum, au centre Artexte jusqu’au 19 mai

 ?? PAUL LITHERLAND ?? Une sélection de revues undergroun­d trouvées par Michael Blum et présentées chez Artexte.
PAUL LITHERLAND Une sélection de revues undergroun­d trouvées par Michael Blum et présentées chez Artexte.

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