Deux histoires d’Islande
Einar Már Guðmundsson et Guðbergur Bergsson s’intéressent au destin de leur pays au XXe siècle
Pour un pays de moins de 350 000 habitants, plantés sur une île volcanique échouée au milieu de l’Atlantique Nord, l’Islande fait beaucoup parler d’elle. Et pas seulement parce que la fraude fiscale y est depuis longtemps considérée comme une sorte de sport national.
Romancier, poète et nouvelliste de 63 ans, Einar Már Guðmundsson est l’auteur d’une dizaine de romans. Il a reçu le Grand Prix de littérature du Conseil nordique, plus haute distinction décernée à un écrivain des cinq pays nordiques, pour Les anges de l’univers (Flammarion, 1998).
Roman à l’humour mordant qui égratigne la société islandaise, Les rois d’Islande prend comme point de dépar t Tangavík, un petit village emblématique. Car chacun en Islande se croit descendant des rois qui illuminent les fameuses sagas des Xe et XIe siècles. Même quand ceux qui régnaient sur l’Islande étaient danois et résidaient à Copenhague…
Une suite de tableaux
« Une nation qui, jadis, croyait aux elfes et aux fantômes ne jure plus que par les indicateurs financiers et les courbes d’inflation. On peut même hypothéquer les poissons qui nagent dans la mer et emprunter sur leur dos.
Le système économique sombre dans l’ésotérisme, la magie envahit le réel, peut-être même faut-il parler de réalisme magique. Or, quand le sens de l’humour se perd, tout devient dérisoire. »
En une suite de tableaux portés par un narrateur insouciant, Guðmundsson dresse le portrait de la famille Knudsen, roitelets de Tangavík, commune aujourd’hui en faillite qui produisait, certaines années, jusqu’à dix pour cent du PIB de l’Islande. « Les Knudsen ont été marins, ministres, professeurs, aviateurs, domestiques, criminels et avocats, concentrant parfois toutes ces professions en une seule et même personne. »
« Je descends de robustes vikings au regard bleu. Mes origines remontent aux poètes de cour et aux rois victorieux. Je suis un Islandais » , peut-on lire au début de Tómas Jónsson, un best-seller, roman de Guðbergur Bergsson publié en 1966 et « oeuvre clef de la littérature islandaise », nous dit Guðmundsson.
Cela tombe bien : de Guðbergur Bergsson, né en 1932, on traduit justement Il n’en revint que trois, roman à la tonalité différente, plus
Une nation qui, jadis, croyait aux elfes et aux fantômes ne jure plus que par les indicateurs financiers et les courbes »
d’inflation EINAR MÁR GUÐMUNDSSON
poétique, où il scrute le destin d’un couple et de ses deux petites filles, vivant dans une ferme isolée et cer née « de tous côtés par les champs de lave, les montagnes et la mer » .
En s’intéressant de près à ce microcosme, Bergsson dresse lui aussi une sorte d’histoire critique du peuple islandais au XXe siècle, qui a basculé en cinquante ans du Moyen Âge à la modernité, de la légende vivante des sagas à l’occupation britannique puis américaine ( en 1940 et 1941), alors qu’il était devenu plus rentable de louer ses terres aux forces armées étrangères que de les cultiver.
La chronique de Louis Hamelin fait relâche cette semaine. De retour le 14 avril.