Le Devoir

La tournée des adieux

La valeur historique de Miles Davis & John Coltrane : The Final Tour est égale aux beautés musicales qui sont déclinées dans cet attendu coffret

- SERGE TRUFFAUT COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Miles Davis, John Coltrane et des bandes enregistré­es à Paris, à Copenhague et à Stockholm. Des bandes n’ayant jamais été publiées jusqu’à tout récemment et qui ont fait jaser et rêver pendant des lunes. Voilà qu’après avoir réglé des questions de droits si complexes qu’il a fallu au-delà d’une bonne année de négociatio­ns pour lever les barrières à leur publicatio­n, celles- ci ont enfin été regroupées dans un coffret comprenant quatre disques accompagné­s d’un livret de 31 pages. On insiste : ce que CBS propose sous le titre Miles Davis & John Coltrane : The Final Tour est une somme d’inédits.

Cet ensemble vaut son pesant d’or, car sa valeur historique est égale en importance aux beautés musicales déclinées par Davis et ses complices. Ce moment, soit plus exactement cette tournée effectuée durant trois semaines de mars 1960, est en fait le dernier épisode dans l’histoire d’une formation que bien des critiques de renom considèren­t comme la meilleure ou l’une des trois meilleures du jazz.

À cet égard, il faut rappeler que quelques mois auparavant, cette bande de cadors avait publié l’album jugé, lui, comme le plus grand de l’histoire : Kind of Blue. Seule différence, Wynton Kelly est au piano à la place de Bill Evans. Cannonball Adderley est absent, mais la base r ythmique est la même que sur le disque évoqué : Paul Chambers à la contrebass­e et Jimmy Cobb à la batterie. Bien.

De tous les faits détaillés par Ashley Kahn dans le livret, on a retenu celui- ci : Coltrane a entamé cette tournée à reculons. Dès le départ, il avait prévenu Davis que ce serait sa dernière avec lui. Bonjour l’ambiance ! Le trompettis­te fut d’autant plus ébranlé par cette décision que Coltrane lui devait énormément. C’est Davis qui en ef fet avait « sorti » Coltrane de Philadelph­ie au milieu des années 1950. Davis qui, entre ses enseigneme­nts et ses encouragem­ents, a transformé Coltrane d’accompagna­teur en vedette à par t entière. Bref, sa maturité musicale, Coltrane l’a développée sous la gouverne de Davis.

À l’écoute de ces quatre albums qui proposent plusieurs interpréta­tions des pièces enregistré­es pour la confection de Kind of Blue, en plus des classiques comme On Green Dolphin Street, Walkin’, Oleo et Round About Midnight, on sent la tension qu’il y avait alors entre les deux vedettes du groupe. Autant Davis conjugue son jeu de façon succincte, avec sensibilit­é, voire fragilité, autant Coltrane conjugue le sien avec fureur, passion et longues envolées. En d’autres termes, autant Davis colle au jazz modal, autant Coltrane est déjà dans son univers où la quête spirituell­e transcende tout ce qui relève de la musique et de sa grammaire.

Il était tellement loin, Coltrane, que Cobb, toujours de ce monde, toujours actif, toujours aussi grand, a confié à Khan: « Il nous avait tous dépassés. » Après cette tournée, Coltrane va former son groupe. Plus jamais il ne jouera sous la direction d’un tiers. La passion qui distingua son jeu lors de ce périple européen, notamment cette inclinatio­n à jouer des grappes de notes plutôt que la note après la note, séduisit tellement d’impresario­s européens qu’à peine son quartet formé, il fut invité partout en Europe.

Au fond, cet album a ceci de particulie­r qu’il est le relais entre le Coltrane accompagna­teur et le Coltrane figure dominante du jazz dans les années 1960.

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ELEONORE BAKHTADZE AGENCE FRANCE-PRESSE / AGENCE FRANCE-PRESSE En haut, Miles Davis en performanc­e dans les années 1960. En bas, son complice John Coltrane en spectacle à Paris, lui aussi pendant la même décennie.
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