Le Devoir

Les algues sargasses, cauchemar des Caraïbes

- DAVID HIMBERT COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Les pays et territoire­s qui entourent la mer des Caraïbes sont une nouvelle fois con - frontés à une crise sévère qui menace autant l’économie et l’environnem­ent que la santé des population­s locales. En effet, de la Riviera Maya mexicaine à la Martinique, en passant par Cuba et la République dominicain­e, ce sont des milliers de kilomètres de plage qui se retrouvent envahis, pour la troisième fois depuis 2011, par des échouages quotidiens et massifs d’algues brunes.

Les nombreux touristes qui fréquenten­t ces paradis tropicaux pour fuir les rigueurs de l’hiver l’auront remarqué: jour après jour, des quantités considérab­les d’algues sargasses s’accumulent sur les plages de rêve et viennent gâcher la carte postale. Une barrière brune imposante et odorante (la décomposit­ion des algues dégage une forte odeur d’oeufs pourris) sépare désormais le blanc immaculé du sable du bleu turquoise de l’océan, et commence à décourager les vacanciers, comme en témoignent les messages de mécontente­ment et de mise en garde qui s’accumulent, eux, sur les sites d’évaluation comme TripAdviso­r. Par ailleurs, un rapport d’expertise mis à jour en mars 2017 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire française ( ANSES) obser ve qu’en Guadeloupe, en 2015, plusieurs restaurant­s ont fermé lors de la dernière invasion d’algues et que des hôtels ont perdu jusqu’à 50 % de leur chiffre d’affaires annuel.

Les impacts

La crise représente donc une menace réelle pour toute la Caraïbe, dont l’économie est constituée essentiell­ement des revenus du tourisme. C’est la raison pour laquelle chaque matin, qu’ils soient à Playa del Carmen, à Santa Lucia ou à Punta Cana, les plaisancie­rs assistent à un va-etvient incessant d’ouvriers, plus ou moins bien équipés, attelés au ramassage des algues. Des moyens différents selon la richesse des pays concernés sont ef fectivemen­t dé- ployés, allant des machines de terrasseme­nt mises à dispositio­n par l’État français sur les côtes de la Guadeloupe et de la Martinique à la simple fourche et à la brouette pour les 4000 travailleu­rs mexicains déployés pour l’occasion. L’industrie de la pêche, l’autre pilier de l’économie des Caraïbes, est également touchée par la crise, car les bancs d’algues s’accumulent dans les ports et endommagen­t les équipement­s.

Une menace économique qui se double d’une menace écologique, puisque l’échouage massif des algues sur les côtes entraîne la mort de nombreuses espèces de poissons, causée par la formation de milieux carencés en dioxygène. L’impact sur l’écosystème a également des conséquenc­es directes sur la reproducti­on des tortues, qui peinent à atteindre la

plage pour pondre, et quand elles y parviennen­t, ce sont les petits qui sont empêchés par les algues de retourner à la mer.

Si ces accumulati­ons de végétaux sur les plages du Sud semblent, pour les experts français, sans danger pour la santé des touristes, il en va autrement pour les population­s locales en contact permanent avec les algues, et le rapport de l’ANSES confirme que l’exposition aux émanations d’algues sargasses en décomposit­ion est toxique du fait des concentrat­ions d’hydrogène sulfuré (H2S).

Le document précise que ces émanations entraînent des symptômes d’irritation oculaire et respiratoi­re, des troubles neurologiq­ues (maux de tête, perte d’équilibre, perte de mémoire), ainsi que des troubles cardioresp­iratoires et cardiovasc­ulaires pouvant conduire au décès. Par ailleurs, la forte propension des algues à accumuler des métaux lourds comme l’arsenic et le cadmium préoccupe les scientifiq­ues. L’organisme a donc formulé un ensemble de recommanda­tions qui visent à limiter l’exposition du public par un ramassage systématiq­ue des algues échouées, par le balisage des chantiers de ramassage ( i. e., les plages) et par la mise en place de campagnes de sensibilis­ation de la population.

Réchauffem­ent et pollution

Cette proliférat­ion d’algues sargasses trouve ses origines dans le golfe de l’Amazone, où le deuxième fleuve du monde déverse dans l’océan près de 20 % de l’eau douce mondiale. C’est à cet endroit qu’on a pu observer une nouvelle mer des Sargasses (en référence à la région abondante en végétaux de l’océan Atlantique découverte par Christophe Colomb), une zone propice à la croissance et au développem­ent des algues par la conjugaiso­n de facteurs possibleme­nt favorables.

Parmi ces facteurs, les experts de l’ANSES évoquent le réchauffem­ent des eaux, conséquenc­e directe du réchauffem­ent climatique, qui créerait un milieu favorable à la proliférat­ion. Ils s’interrogen­t également sur les particular­ités climatique­s de 2010, année pendant laquelle on a observé des vents plus faibles et une moindre fréquence des tempêtes, ce qui a pu favoriser, dans des eaux plus calmes, la concentrat­ion de nutriments. Mais c’est surtout vers l’activité humaine autour du fleuve Amazone qu’il faut se tourner pour comprendre le phénomène. Chaque jour, des quantités incalculab­les d’eaux polluées sont déversées dans le fleuve. Une pollution provoquée par le mauvais traitement des eaux usées, et surtout par le déversemen­t de métaux lourds, dont le mercure, par les orpailleur­s clandestin­s qui les utilisent pour amalgamer l’or. De plus, l’agricultur­e et les coupes intensives, également à l’origine de l’afflux de nutriments ( phosphates, nitrates), seraient des facteurs déterminan­ts dans la croissance des algues. On retrouve aussi ces nutriments dans les eaux du fleuve Congo, où l’on a également observé ce phénomène d’échouage sur les côtes africaines.

Des solutions?

La crise est complexe, et ses causes sont encore hypothétiq­ues, même si les études récentes, comme celles rassemblée­s par le Gulf Coast Research Laborator y de l’Université Southern Mississipp­i, sont rigoureuse­s et documentée­s. Mais s’il devait se confirmer que c’est bien la pollution générée par l’activité humaine qui provoque cette accumulati­on d’algues brunes sur les plages des Caraïbes, il serait difficile d’être immédiatem­ent optimiste, puisque rien n’indique un prochain ralentisse­ment de la surexploit­ation de nos ressources.

En revanche, plusieurs initiative­s visent à endiguer le phénomène, comme le ramassage en pleine mer, qui permettrai­t la sauvegarde de l’industrie touristiqu­e, ou encore l’ouverture d’usines de retraiteme­nt, comme à Sainte-Lucie, afin de transforme­r l’algue en compost.

Une chose est sûre, c’est un phénomène qui ne cesse de s’accentuer depuis son apparition en 2011, et il faudra plus que de la bonne volonté et des brouettes pour l’endiguer. Cependant, parmi les bonnes nouvelles, le secrétaire d’État au Tourisme mexicain vient d’annoncer la mise en place d’un projet de collaborat­ion avec l’Université de Galveston, au Texas, qui a pour but de mieux comprendre, à l’aide d’images satellites, le déplacemen­t des herbes marines.

Le phénomène ne cesse de s’accentuer depuis son apparition en 2011, et il faudra plus que de la bonne volonté et des brouettes pour l’endiguer

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PHOTOS DAVID HIMBERT Une plage sur la Riviera Maya dans la région de Tulum, au Mexique
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Chaque matin, qu’ils soient à Playa del Carmen, à Santa Lucia ou à Punta Cana, les plaisancie­rs assistent à un va- et- vient incessant d’ouvriers, plus ou moins bien équipés, attelés au ramassage des algues.
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