Renouveau bulgare
Cent quarante ans après la libération ( traité de paix de San Stefano), la plaie n’est toujours pas refermée et les Bulgares, selon l’éditorialiste Boyko Vasilev, sont toujours peu satisfaits d’eux-mêmes. Critique, l’homme pousse plus avant en soulignant que ce qui transpire encore de la société bulgare d’aujourd’hui se résume par le fait qu’elle éprouve toujours cette angoisse relative à ce qu’elle a historiquement perdu plutôt que d’aborder sereinement l’avenir avec toutes les possibilités qu’elle recèle.
Il conclut en disant que dans la meilleure des perspectives, le Bulgare ne réalise pas toujours jusqu’où il peut aller ou même s’arrêter, alimenté entre autres choses par un manque de stratégies crédibles et réalistes. Y a-t-il un peu de Bulgare dans le Québécois?
Mieux comprendre l’histoire d’un peuple permet d’en apprécier plus profondément les ramifications structurelles, pour ne pas dire culturelles. Et le vin en fait partie. Qui d’ailleurs d’entre vous connaît les vins bulgares ? De retour de Sofia, mais surtout de la plaine de Thrace, où j’ai pu prendre le pouls de l’activité viticole contemporaine, je demeure à la fois saisi mais aussi impressionné, d’une part, par cet immobilisme communiste qui prenait fin au début des années 1990 avec les traces résiduelles que cela implique et, d’autre part, par les réalisations d’envergure qui, depuis, se multiplient sur le terrain.
Todoroff, Midalidare, Villa Yustina
Avec ses vignobles jeunes, surtout plantés avec des cépages internationaux où merlot (le plus populaire actuellement), cabernet-sauvignon, malbec, petit verdot, syrah, pinot noir mais aussi chardonnay, sémillon, muscat, gewurztraminer et autres riesling partagés au nord dans la vallée du Danube, plus fraîche, et au sud dans la vallée de Thrace, plus chaude, l’industrie se relève peu à peu d’un marasme où gros volumes et vins (très) ordinaires avaient cours.
Mais des investissements locaux et étrangers articulent toutefois sur le terrain leur propre révolution qualitative, comme j’ai pu le constater avec Todoroff, Midalidare et Villa Yustina, trois maisons sérieuses dont la présence en tablettes enrichirait du coup les maigres trois seules propositions actuellement offer tes en quantité appréciable au Québec. Beaucoup de chemin parcouru depuis le fameux merlot du Domaine Boyar!
Premier constat, si les cépages autochtones que sont les mavrud, rubin (hybride de nebbiolo et de syrah), misket rouge, melnik 55 et dimyat rose, assemblés ou non avec les « internationaux », sont de mieux en mieux vinifiés, il faut tout de même convenir des limites dont ils font preuve, ne seraitce qu’en ce qui concerne l’attente du palais des consommateurs. De maturation tardive, seul le mavrud possède à mon sens l’étof fe pour s’imposer, comme le démontrent les versions proposées depuis 2003 par Yvan Todoroff dans la région de Plovdiv.
Deuxième constat, consultants extérieurs (Michel Rolland, Marc Dworkin, comte Von Niepperg du Château Canon La Gaffelière et autres) et investissements faramineux dans des chais derniers cris portent désormais la production locale à des niveaux qualitatifs qui auraient été tout bonnement impensables il y a à peine une petite quinzaine d’années. Avec une incidence sur les prix qu’il faudra éventuellement brider tout en démontrant ce que le terroir local a véritablement « dans le ventre ». Le piège ? Celui de ne pas se démarquer de la production mondiale avec des vins standardisés. Une certitude demeure: la Bulgarie du vin a de beaux jours devant elle.
De retour de Sofia, mais surtout de la plaine de Thrace, où j’ai pu prendre le pouls de l’activité viticole contemporaine, je demeure à la fois saisi mais aussi impressionné