Le Devoir

Le potentiel « unificateu­r » de la philanthro­pie

- MARIE-HÉLÈNE ALARIE Collaborat­ion spéciale

« L’Institut Mallet se consacre à l’avancement de la culture philanthro­pique en plaçant le don de soi au coeur des priorités de la société », lance d’emblée son président et chef de la direction, Jean M. Gagné. Vu par ce dernier comme un carrefour inclusif de partage et de mise en valeur des savoirs, des pratiques et des innovation­s, l’Institut Mallet mobilise l’ensemble des acteurs de la société dans le but d’encourager et de soutenir le don de soi : « On en dégage des savoirs sur les conditions préalables à l’action philanthro­pique dans le but de mieux les faire connaître au grand public afin de l’inspirer à faire des gestes. » Ainsi, les activités de l’Institut sont multiples, dont de nombreuses tables rondes.

Le 2 juin dernier s’est tenue une table ronde portant sur la philanthro­pie et la religion. Parmi les objectifs, on notait celui de recenser les valeurs, les croyances et les conviction­s promues par la religion qui favorisent le développem­ent de la culture philanthro­pique. Ensuite, les par ticipants cherchaien­t à comprendre les mécanismes qui permettent de mobiliser le don de temps et d’argent, ainsi qu’à déterminer les secteurs d’activité et les causes dans lesquels la religion est particuliè­rement active et finalement, à cerner les contributi­ons de la religion à la culture philanthro­pique. Cette table ronde réunissait des représenta­nts de dif férentes religions et, parmi les participan­ts se trouvait à titre d’observateu­r Alain Bouchard, coordonnat­eur du Centre de ressources et d’observatio­n de l’innovation religieuse, ainsi que soeur Monique Gervais, supérieure générale des Soeurs de la charité de Québec.

Les Québécois, les moins généreux des Canadiens?

Pour la mise en contexte de cette table ronde, de nombreuses études qui démontrent une corrélatio­n positive entre la religion et les comporteme­nts philanthro­piques comme le don d’argent, le bénévolat et le don de sang ont été présentées. Certaines de ces études postulaien­t que le lien est encore plus fort chez les croyants pratiquant­s puisque leurs valeurs altruistes seraient davantage ancrées et ces derniers seraient sollicités fréquemmen­t pour faire des dons.

On entend souvent que les Québécois seraient les moins généreux des Canadiens. Récemment encore, selon des données rendues publiques par Statistiqu­e Canada, à l’échelle nationale, la valeur médiane des dons s’élevait à 300 $ en 2016, alors qu’au Québec, elle n’était que de 130 $, plaçant ainsi la province au dernier rang. Cependant, l’Institut Mallet, afin d’alimenter les débats autour de la table ronde, a ap- porté une nuance en citant un article scientifiq­ue récent qui indique qu’à revenus et taux de pratique religieuse comparable­s, les dons des résidents du Québec seraient analogues à ceux de l’Ontario et des provinces de l’Atlantique.

Le don de soi en héritage

« Ce qui me préoccupe, c’est pourquoi le phénomène religieux semble avoir une inci- dence sur la culture philanthro­pique » , lance Alain Bouchard, sociologue des religions. Il explique qu’une des fonctions importante­s du religieux est de réunir des gens. « Ils interagiss­ent autour du sentiment d’être rassemblés au nom de quelque chose qui est plus grand qu’eux, ce qui semble avoir une incidence sur la perception qu’ils ont des gestes à poser », explique-t-il, en ajoutant que « la reconnaiss­ance d’un principe supérieur induit un sentiment d’humilité, postuler quelque chose de plus grand nivelle le niveau humain et rend conscient de l’interdépen­dance qu’on a les uns avec les autres ».

C’est pourquoi, selon lui, dans le phénomène religieux, il est courant de voir des individus qui feront abstractio­n d’eux-mêmes : « Émerge alors un altruisme qu’on appellera dans le bouddhisme la compassion, dans le christiani­sme la charité chrétienne, dans le judaïsme, ce sera le concept central qui veut qu’on répare le monde, et l’un des cinq piliers de l’islam est l’aumône. » Finalement, dans de nombreuses religions, on retrouve ce souci de l’autre, et c’est pourquoi lorsqu’on réunit des gens de ces différente­s religions pour échanger sur la philanthro­pie, tous sont sur la même longueur d’onde.

« En fondant l’Institut, c’était très impor tant pour nous de trouver un moyen nouveau de rejoindre la société actuelle », explique soeur Ger vais. Sa par ticipation à cette table ronde lui a permis de constater que « le lien entre religion et philanthro­pie était en fait un moment où l’on pouvait ensemble travailler à la transforma­tion de la société, un lieu de rassemblem­ent qui touchait toutes les religions ».

Même si le don est inné chez l’être humain, il est important de nourrir cette faculté. Aujourd’hui, avec la religion qui perd du terrain, la philanthro­pie devient un concept qui unit l’humanité, un point de rencontre qui va bien au- delà des différence­s. « Chez les jeunes, on constate que le souci de son prochain est un enjeu important dans l’ensemble de leurs actions et même dans leur vie profession­nelle », affirme Jean M. Gagné. « Ce nouveau paradigme dans les milieux de travail amène les gestionnai­res à se questionne­r et à diriger leurs actions en tenant compte de ces valeurs », ajoute-t-il.

« La philanthro­pie doit s’universali­ser, surtout le modèle traditionn­el qui est complèteme­nt révolu. Elle doit s’adapter aux jeunes et à leur vision du monde. Il faut les impliquer. Pourquoi ne pas penser à une formation philanthro­pique offerte à tous ?» propose le directeur. Des on côté, soeur Gervais cultive l’espoir : « Il faut mettre l’accent sur ce qui nous unit, et non pas sur ce qui nous sépare. On assiste au réveil des jeunes et il faut qu’ils réalisent que ces valeurs sont importante­s et qu’ils doivent s’unir au service des autres et toujours garder ce souci de travailler ensemble à changer le monde. »

Même si le don est inné chez l’être humain, il est important de nourrir cette faculté

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ISTOCK De nombreuses études démontrent une corrélatio­n positive entre la religion et les comporteme­nts philanthro­piques comme le don d’argent, le bénévolat et le don de sang.

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